1er décembre > Jeunesse France > Blexbolex

"Le plus beau livre du monde", "Pépite ovni du Salon du livre de Montreuil". Pour évaluer le phénomène Blexbolex, il suffit de jeter un œil à l’intitulé de ses trophées. Jusqu’à présent, à destination des enfants, le fameux sérigraphe et illustrateur avait surtout commis des imagiers iconoclastes, comme L’imagier des gens ou Romance, dûment couronnés de palmes originales. Des livres avares de mots, certes, mais qui dispensaient tout de même quelques légendes minimalistes.

Ici, Blexbolex franchit un pas de plus dans l’audace. Son histoire qui raconte les vacances d’une petite fille est entièrement muette. Pas la moindre légende, mot ou même onomatopée. Et pourtant cet album raconte bien une vraie histoire avec un début, un milieu et une fin, et même, à la clé, une intrigue assez sophistiquée avec péripéties et rebondissements.

Une petite fille passe du bon temps chez son grand-père. A elle les jeux, le jardin, le lac et la liberté ! Jusqu’au jour où débarque de la gare un éléphanteau, un lourdaud de première qui ne sait même pas se tenir à table et mange comme un cochon. De petite humiliation en petite humiliation, la fillette finit par faire déguerpir le pachyderme persona non grata. Grand-Père réussit à le ramener dans ses pénates, mais doit imaginer sans cesse de nouvelles ruses en vue d’assurer la cohabitation.

Cette histoire, le petit lecteur doit l’inventer tout seul en s’en remettant uniquement à image. "Je voulais que la lecture se fasse à l’intérieur des images mêmes", explique Blexbolex. La narration est ici entièrement confiée à l’espace de la double page et peut s’effectuer aussi à travers des petites fenêtres ouvertes dans l’image, zooms sur un point précis de la page ou actions qui se déroulent parallèlement à la temporalité de la page. Par exemple, quand la petite fille dort et commence à rêver, six petites fenêtres détaillent la toilette et le déshabillage qui précèdent le coucher. "L’usage de ces fenêtres est utilitaire, mais pas nécessaire, explique Béatrice Vincent, directrice de la collection "Trapèze" chez Albin Michel. Ellessont comme le story-board d’une action qui ne serait pas l’action principale."

L’image fourmille aussi de petits indices qui facilitent le déchiffrage de l’histoire. Ainsi l’absence de traits sur le visage de la petite fille exprime la cruauté et le verrouillage des sentiments. Cette narration muette est indéniablement un pari fou. Mais nous, lecteurs, autre chose nous enchante de la première à la dernière page : l’incroyable richesse de la gamme Pantone. Nos mirettes s’éblouissent du bel orangé du canapé, du bleu pétrole du papier peint, du bleu nuit du ciel constellé de petites étoiles. Les subtiles couleurs sont comme piquées de petits points, encore rehaussées par la qualité du papier.

Blexbolex veille au grain, si l’on peut dire. Cet illustrateur exigeant, aujourd’hui établi à Leipzig, est aussi sérigraphe et imprimeur. En un mot, il en connaît un rayon en matière de Pantone, d’encres, de papier et de techniques d’impression. "Il travaille la gamme Pantone avec des encres sans quadrichromie, la couleur n’est pas mélangée en à-plats, elle est tramée et superposée comme dans une plaque de sérigraphie. C’est cette trame - à laquelle Blexbolex attribue l’intensité avec une ultime précision - qui donne cette impression de points et de lumière", explique encore l’éditrice.

La volonté permanente d’expérimenter et de renouveler l’image restitue ici à merveille la nostalgie des étés heureux de l’enfance. Chapeau, l’artiste ! Fabienne Jacob

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