Chantal Thomas, «De sable et de neige» (Mercure de France): Le temps retrouvé

Chantal Thomas. - Photo © Caroline Chevalier

Chantal Thomas, «De sable et de neige» (Mercure de France): Le temps retrouvé

Chantal Thomas publie une balade enchantée et buissonnière sur les chemins retrouvés de son enfance. Un émerveillement. Tirage à 10000 exemplaires.

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Par Olivier Mony
Créé le 19.01.2021 à 12h18

On trouve au moins trois versants dans « l'œuvre cathédrale », c'est-à-dire protéiforme, majestueuse, déliée et élancée, de Chantal Thomas. D'abord ses romans historiques (Les adieux à la reine, prix Femina,ou L'échange des princesses, Seuil, 2002 et 2013) qui l'ont fait connaître du plus large public, ses essais littéraires (Thomas Bernhard ou Pour Roland Barthes, Seuil, 1990 et 2015) ou philosophiques (Comment supporter sa liberté ou Souffrir, Payot, 1998 et 2003) et enfin ses promenades buissonnières, intimes, autobiographiques, maraudant autour de ses dilections (Souvenirs de la marée basse ou East Village Blues, Seuil, 2017 et 2019). Même si, au fond, chacune de ces « catégories » tend, par l'unité de la langue en premier, vers le même horizon : l'enfance, pays perdu et parfois souillé. Le splendide De sable et de neige (illustré de merveilleuses photos provenant de ses archives familiales), qui paraît aujourd'hui dans la belle collection « Traits et portraits » du Mercure de France, dirigée par Colette Fellous, appartient de plein droit à la troisième d'entre elles.

Sable et neige, donc. Tout ce qui s'efface, s'envole parfois, jamais ne pèse et se meut doucement, comme l'écriture ici plus que jamais cristalline de Chantal Thomas. Deux éléments déjà très présents dans son œuvre, presque sa signature. Le sable des plages de l'enfance arcachonnaise bien sûr, refoulées d'abord et foulées à nouveau depuis quelques années, régulièrement ; et la neige, notamment celle d'un 31 décembre à Kyoto (Chantal Thomas séjourne fréquemment au Japon), ou celle, miraculeuse, tombée en 1956 sur le bassin d'Arcachon. On retrouve dans le livre la dune du Pilat, les promenades en bateau, les aiguilles de pin, les huîtres, la couleur blanche, les poupées : tout ce qui fait l'ordinaire extraordinaire de la « ligne claire » de l'œuvre. Cette obsession du bonheur, de la jouissance au présent, n'excluant pas ici et là l'irruption de la mélancolie, qui lui vient d'abord de sa passion et de ses recherches autour du vrai libertinage et de la littérature du XVIIIe siècle.

Dans le même temps, Chantal Thomas profite de ce pas de côté qui lui est offert pour, avec cet air constant et si infiniment touchant de ne pas y toucher, se révéler plus intimement qu'elle ne l'a jamais fait. Que savait-on de ces séjours, dans l'enfance encore, à la campagne, près de Saintes, dans une maison nommée « Petit Palet » où la compagnie des vaches succède à celle des coquillages et la terre et la boue au sable ? Autant d'épiphanies du souvenir, dont la nature reste en leur cœur profondément semblable. Surtout, ce grand livre, porté par la joie on l'a dit, est également un livre de deuil. Non celui de l'enfance (elle est chez Chantal Thomas profondément retrouvée, si elle a jamais été perdue), mais celui d'un homme, parti trop tôt et retrouvé lui aussi dans ces lignes : son père. C'est lui, homme taiseux peut-être même triste, dans une complicité aussi profonde que discrète, qui lui apprend la pêche, le ski et, mieux encore, les vertus du silence partagé et accompli. Lorsqu'il partira, une faille béante s'ouvrira chez la petite fille, si forte que les larmes n'y auront pas leur place. Jusqu'à ce que quelques mois ou années plus tard, remontant sur des skis, discipline qu'elle ne pratiquait qu'avec le disparu, elles coulent enfin. Et là, avec l'auteure, le lecteur prend le relais. Puisque ce livre est un cadeau que Chantal Thomas lui fait, à son tour, il pleure.

Chantal Thomas
De sable et de neige
Mercure de France
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 19 € ; 208 p.
ISBN: 9782715253698

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