Il y a des villes dont les dessous sont aussi fascinants que les dessus. On appelle cela des secrets. Dans ce registre, Paris regorge d'alcôves, d'histoires étranges et remarquables nichées derrière des façades banales. Chantal Prévot en a retenu trente. Classées par thèmes, elles constituent une sorte de cadavre exquis d'où émerge un récit bizarre qui finit par trouver sa cohérence dans la curiosité permanente qu'il suscite chez le lecteur. Une simple expression désuète comme « aller au diable Vauvert » nous conduit jusqu'à la place d'Enfer, dont on oublia les superstitions qui l'entouraient lorsqu'elle fut rebaptisée Denfert-Rochereau au XIXe siècle en l'honneur du militaire qui défendit la citadelle de Belfort.
Avec beaucoup de finesse, l'historienne et bibliothécaire fait se succéder les tableaux qui nous entraînent dans la taverne de Nicolas Flamel remise au goût du jour par la saga Harry Potter, dans la loge n° 5 du fantôme de l'Opéra ou devant le mausolée d'une prétendue princesse russe situé dans le cimetière du Père Lachaise où un trésor attendrait celui ou celle qui oserait veiller la défunte pendant un an. Il est également question de pâtés pas épatants dans l'île de la Cité, du cœur des rois et reines de France transformé en glacis extraordinaire par un peintre après la Révolution, d'un crocodile dans les égouts, de rats qui migrent à Rungis après la disparition des Halles ou d'une noyée au sourire d'ange qui inspira Rilke, Nabokov et Aragon et fut qualifiée de « Joconde du suicide » par Camus.
La dimension littéraire n'est jamais absente dans ces mystères d'un Paris que l'on reçoit comme un coup de poignard en plein cœur pour reprendre la formule de Jack Kerouac. Car c'est bien au vagabond que Paris s'adresse, au flâneur des deux rives, au promeneur solitaire qui se laisse bercer par le rythme de la ville, au maladif griffeur de pierre comme le fut Rétif de la Bretonne, à ces artistes de rue plus ou moins talentueux qui veulent laisser une trace de leur passage.
Dans ces chroniques du Paris canaille Paris cancane, on retrouve également les traîne-savates magnifiques comme Jean-Paul Clébert, les badauds des bas-fonds comme Jacques Yonnet, les noctambules qui s'attardent aux comptoirs des rades interlopes où l'on déguste des légendes urbaines entre deux verres de vin. Car de légendes, ce livre n'en manque pas. L'historienne « chineuse de récits » les dévoile avec un plaisir évident. Mais même quand elle montre la réalité des faits, le folklore subsiste. Parce que l'on a envie d'y croire tout de même et qu'un peu d'ombre ne fait pas de tort à la lumière. C'est en quelque sorte le papier cadeau de la vérité. En amoureuse de la capitale, Chantal Prévot a réussi un joli petit ouvrage, un livre qui donne envie de se promener, de musarder, de baguenauder, toute chose qui furent interdites durant des mois de confinement. Et si bien des secrets de la capitale sont dissipés, Paris reste heureusement toujours aussi mystérieux.
Mystères de Paris
Cerf
Tirage: 1 500 ex.
Prix: 20 € ; 298 p.
ISBN: 9782204135276