Au début, c'était une intuition. Celle de réunir « deux univers », business et littérature, « qui a priori ne se côtoient pas mais qui ont beaucoup à s'apprendre ». Depuis 2018, Catherine Farin, agente et scout littéraire, mais aussi « chasseuse » d'administrateurs pour le compte de BPIFrance, organise des soirées littéraires en entreprise avec un parti pris iconoclaste, celui de la fiction.
« Les experts et les sachants tournent déjà en entreprise. L'avantage avec la fiction, c'est qu'il n'y a pas d'ostracisme, il peut y avoir des questions du cœur et de la tête », assure-t-elle. Armée d'un solide carnet d'adresses d'entrepreneurs, de managers et d'éditeurs, elle parvient à convaincre La Poste, BPIFrance, KPMG ou encore SNCF Gares & Connexions de surprendre leurs collaborateurs en invitant des écrivains. « Au cours de ces soirées, les gens parlent de la vie et d'eux-mêmes par le truchement du livre. Ça adoucit les mœurs ! Et pour les managers, c'est une façon différente d'appréhender les salariés, de recréer du lien », poursuit celle qui coordonne toute l'organisation de l'événement, du choix de l'auteur à l'animation le jour venu.
Ne pas « rejouer l'entre-soi »
Un travail d'orfèvre qui s'adapte aux besoins de chaque entreprise. Au sein du cabinet KPMG, où il s'agit de « faire plaisir aux jeunes recrues », les équipes ont pu échanger avec Aurélien Bellanger et Marie Darrieussecq, tandis que la banque publique d'investissement BPIFrance penche pour une « littérature française d'avant-garde » avec des invités tels que David Diop et Joseph Ponthus. Ce dernier, aujourd'hui disparu, avait été révélé par son roman À la ligne - Feuillets d'usine (La Table ronde, 2019), récit tiré de son expérience d'ouvrier dans l'industrie agroalimentaire.« Que vient faire une personnalité dite d'extrême gauche chez BPIFrance ? Certains se sont posé la question. Mais c'est précisément ce qui est génial : le décloisonnement ! On ne fait pas ces rencontres pour rejouer de l'entre-soi », insiste Catherine Farin.
Reste que, pour ces rendez-vous littéraires, « le réflexe est bien souvent de s'adresser à des publics de cadres », admet Stéphane Watelet, directeur des éditions Télémaque et responsable du « Bureau des Auteurs » chez Editis, estimant toutefois que « ce n'est pas une fatalité ». Créé par le groupe en octobre 2020 après avoir constaté une hausse des demandes d'entreprises pour ce type de rencontres, ce nouveau service s'appuie sur une plateforme en ligne permettant de solliciter près de 200 auteurs, référencés en fonction de leur expertise.
Diversifier les revenus des auteurs
Si la crise sanitaire a freiné les débuts du « Bureau des Auteurs », et bousculé quelques-unes des soirées de Catherine Farin, la demande est bel et bien au rendez-vous en ce début d'année 2022.
Contacté par des sociétés du secteur des technologies, de l'assurance ou encore de la cosmétologie autour de sujets comme l'inclusion des travailleurs en situation de handicap et la gestion de l'effort physique, le Bureaux des Auteurs a déjà organisé une douzaine d'événements avec de grandes entreprises et espère toucher les PME. « Les prix vont de 3 000 à 25 000 euros pour des superstars, ce n'est pas excessif », indique Stéphane Watelet.
L'entrée des auteurs en entreprise, tout le monde y gagnerait, à commencer par les écrivains eux-mêmes. « Face à la baisse de leurs revenus, il nous semblait intelligent de confronter ceux qui le souhaitent à des publics nouveaux et de générer pour eux des rentrées d'argent qui sont parfois équivalentes, pour une seule conférence, à ce qu'ils perçoivent comme à-valoir quand ils mettent un an et demi à travailler sur un manuscrit », détaille Stéphane Watelet. La commission prélevée par Editis est quant à elle inférieure à 10 %, tandis que les maisons du groupe bénéficient des achats de livres par l'entreprise en vue de l'événement.
À l'heure où les nouvelles demandes affluent au « Bureau des Auteurs », Editis « n'exclut pas » de s'associer à des « tourneurs professionnels », déjà bien rodés aux rencontres littéraires en entreprise. S. L.
