Laurie Catteeuw vient de livrer chez Albin Michel un formidable travail sur Censures et raison d'Etat - Une histoire de la modernité politique (XVIè-XVIIe siècles). Ces questions passionnent Laurie Catteuw, qui y consacre l'essentiel de ses travaux. Du reste, l'ouvrage qui paraît chez Albin Michel est directement inspiré de sa thèse de doctorat en philosophie politique, soutenue à la Sorbonne en 2008. Dès sa naissance, «  la raison d'Etat eut à voir avec la censure  ». La congrégation de l'Index, instaurée par Pie V en 1571, est chargée d'établir la liste des livres prohibés. Bien que cette liste ait interdit en 1596 la publication et la lecture de tout livre s'intéressant aux pouvoirs en place, se multiplient les ouvrages révélant au public les secrets du pouvoir, que ce soit pour en faire la théorie, en justifier ou en critiquer les pratiques. Naquit ainsi un genre littéraire, dont les auteurs pouvaient être des gouvernants, comme Richelieu, des opposants, comme Machiavel, voire à la fois des familiers du pouvoir et des opposants, comme Gabriel Naudé. Travaillant l'ambigüité d'une notion à la fois interdite et proclamée, l'essai de Laurie Catteeuw cherche dans le lien qui unit raison d'Etat et censure l'une des raisons d'être de la politique moderne. Son enquête, partant d'œuvres emblématiques, met en lumière la construction de la notion de raison d'Etat dans l'Europe moderne. Née de la mise en cause de la raison d'Église durant les guerres de Religion et de l'affirmation de l'autorité politique, la raison d'État se révèle sur la place publique une notion aux visages multiples et aux définitions volontiers contradictoires. Une chose est sûre : le livre est très vite dans le collimateur des censeurs d'Etat. Le Règlement de 1610 crée un syndic propre à la librairie ainsi que «  les procédures de contrôle de circulation et de vente des livres  auxquelles imprimeurs, libraires et colporteurs doivent se soumettre ». Par son ambigüité et la variété de ses applications, la raison d'État fut un puissant outil dans le processus de constitution d'une opinion publique. Notre auteure va à l'encontre des idées reçues et montre que la raison d'État ne fut pas seulement l‘instrument du pouvoir absolu ; à sa naissance participèrent aussi les opposants à ses pouvoirs, libertins et auteurs de libelles diffamatoires. Voilà qui éclaire aussi la censure contemporaine où chacun légifère et vocifère à la fois !
15.10 2013

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