Livres Hebdo : Cette année, le Pop Woman Festival fête sa 4e édition. Pouvez-vous revenir sur la création de l’événement ?
J’ai toujours fait de l’ingénierie culturelle et après avoir travaillé une dizaine d’années pour le festival d’Angoulême, j’ai eu envie de monter mon propre événement. J’ai souhaité organiser un festival qui mette en avant la création féminine, mais j’avais aussi envie de parler d’égalité homme-femme. C’est pourquoi les hommes font également partie de la programmation, bien que nous ayons fait le choix d’inviter 80 % d’artistes féminines et 20 % d’artistes masculins. Le festival entreprend également de croiser plusieurs disciplines artistiques puisque les problématiques que rencontrent les femmes dans l’art sont souvent les mêmes.
La manifestation met aussi en lumière des œuvres émanant de ce qu’on appelle la « pop culture ». Quel est le lien entre celle-ci et la création féminine ?
Avec ce festival, j’ai voulu redonner leurs lettres de noblesse à des pratiques culturelles qui intéressent la majorité silencieuse, mais aussi utiliser des produits accessibles à toutes et à tous pour parler de création féminine. Petite, j’étais une enfant du club Dorothée. J’ai toujours été influencée par la culture populaire et ma génération a littéralement baigné dedans ! Pourtant, la pop culture a aussi véhiculé de nombreux stéréotypes sur les femmes. C’est ce qu’explique Chloé Thibaut, autrice de Désirer la violence, Ce que la pop culture nous apprend à aimer (Les Insolentes), qui sera au cœur d’une de nos tables rondes. La société s’est construite avec ces images-là et je crois qu’il est important de les interroger, tout en créant de nouveaux récits. Parler de pop culture est aussi un bon moyen de mélanger les générations et d’inviter un public, parfois plus éloigné de ce segment, à s’y intéresser.
« Chaque année, nous avons de plus en plus de monde ! »
Quel bilan tirez-vous des trois premières éditions du festival ?
La première édition s’est déroulée pendant la 5ᵉ vague du Covid et n’a duré qu’une soirée. Elle m’a néanmoins permis d’installer un événement dans une ville qui a l’avantage d’être à 45 minutes de Paris et qui a les infrastructures culturelles pour accueillir ce type de manifestation. Dès la 2e année, nous avons introduit une formule de trois jours, durant lesquels nous avons accueilli 1 500 personnes. Et chaque année, nous avons de plus en plus de monde ! Évidemment, nous sommes une petite structure, mais l’idée est d’ancrer progressivement l’événement sur le territoire, en travaillant en lien avec les infrastructures culturelles déjà existantes. Nous avons été très bien repérés par les artistes, qui ont largement aidé à la communication du festival en alimentant leurs réseaux sociaux. Mais aussi par les professionnels du monde de l’édition, qui ont identifié le festival comme un rendez-vous important.
Le festival a-t-il pour ambition de s’agrandir ?
C’est une question que je me pose régulièrement. J’aime ce côté « cosy » et accueillant du festival. Avec le temps, j’aimerais faire intervenir davantage d’hommes sensibles à nos valeurs dans la programmation. Je m’interroge aussi sur la captation d’un plus grand public avec l’intégration, à l’horizon 2026, de la new romance qui intéresse particulièrement les jeunes de 14 à 24 ans. Cette année, nous faisons un premier essai avec A.J Broochmitt, autrice de Ces mots que nous taisons (Hugo Publishing), qui sera l’invité d’un « Tea Time » pour les adhérents Fnac, dont nous sommes partenaires, et les détenteurs du pass Pop Women Festival. Les inscriptions sont déjà nombreuses. Je crois qu’on ne peut pas rester indifférent à la demande du public, tant que l’on invite à la réflexion. À côté de ça, je songe également à développer des animations numériques, tout au long de l’année, avec, par exemple, des retranscriptions d’échanges sous forme d’émissions sur YouTube, ou l’ouverture d’une chaîne Twitch.
« Trouver des financements devient difficile »
À ce sujet, vous avez annoncé la création d’un label attribué à certaines œuvres culturelles pour accompagner leur visibilité tout au long de l’année. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Pour qu’un événement culturel fonctionne, il faut le réfléchir dans sa globalité. J’ai reçu tellement de demandes de la part des éditeurs, que j’ai fini par me demander comment travailler avec eux tout au long de l’année. C’est pourquoi j’ai lancé le label Pop Women Festival, inauguré avec la bande dessinée Sybilline de Sixtine Dano (Glénat). J’étais aussi très frustrée à l’idée que les femmes ne soient rendues visibles qu’au mois de mars, autour de la Journée des droits des femmes. Avec ce label, nous allons donc pouvoir porter toute l’année des œuvres culturelles faites par des femmes, avec des interviews ou des modérations de rencontres labellisées « Pop Women Festival », qui paraîtront sur nos réseaux sociaux.
Dans un contexte économique fragile et alors que le monde des idées se polarise de plus en plus, comment faire perdurer un festival engagé ?
Organiser un événement culturel, c’est inévitablement se confronter à un modèle économique. Or, lorsque ledit événement est consacré à l’égalité homme-femme, celui-ci est directement étiqueté féministe, et par extension, militant. Trouver des financements devient donc très difficile. D’un côté, les sponsors privés ont de plus en plus de mal à s’engager sur ces questions, de peur d’être accusés de « feminism-washing ». De l’autre, pour être économiquement à l’équilibre, une manifestation ne peut pas dépendre complètement de l’argent public, lui-même dépendant du budget gouvernemental.
Récemment, nous avons subi une coupe de 2 000 euros en raison d’un retard de vote budgétaire. À notre échelle, il s’agit d’une somme énormissime ! Jusque-là, le Pop Women Festival m’a surtout coûté de l’argent. Pourtant, il ne faut rien lâcher. Ces problématiques dont traite le festival sont des sujets de société. Les violences faites aux femmes sont un sujet de société et je suis intimement convaincue que l’éducation, la culture populaire font partie de la solution. C’est aussi pour cela que je veux que le Pop Women Festival puisse servir à la profession, notamment à l’édition, en permettant de booster la vente de livres. Tout cela fait partie d’un écosystème en faveur de l’égalité homme-femme.
Avez-vous tout de même l’impression que les choses changent, que les artistes féminines sont davantage représentées dans la littérature ?
C’est certain qu’il y a de plus en plus de femmes programmées dans les festivals, jusqu’à 30 % à Angoulême, ce qui n’est pas l’égalité absolue, mais va dans le bon sens. Il y a aussi beaucoup de lectrices, et les professionnels l’ont compris. Je crois que, globalement, on tend vers une meilleure représentativité, avec davantage de produits culturels pour et par les femmes. En revanche, y a-t-il plus d’autrices qu’avant ? Pas tant que ça. Dans les écoles d’Art, les écoles de bande dessinée, 60 % des étudiants sont des étudiantes. De la même façon, lorsque j’organisais le Pavillon des jeunes talents à Angoulême, il y avait déjà plus d’autrices que d’auteurs. Ce qui signifie que les femmes sont là, depuis plusieurs années déjà. Néanmoins, nombre d’entre elles peinent à être publiées ou abandonnent leur carrière parce qu’elles n’arrivent pas à vendre assez d’ouvrages. Heureusement, plusieurs autrices ont ouvert la voie à de nouvelles jeunes femmes très innovantes !