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Ce que va changer le Kindle

OLIVIER DION

Ce que va changer le Kindle

Attendue et redoutée des professionnels, l'arrivée de la liseuse d'Amazon sur le marché français se fait dans un cadre bien verrouillé. S'il ne peut s'imposer via les prix, le cybermarchand dispose d'une puissance de communication et d'une expérience technologique qui feront la différence.

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Par Hervé Hugueny,
Clarisse Normand,
Créé le 29.05.2015 à 15h03

Le lancement du Kindle en France et les dernières discussions de virgules dans les contrats avec les éditeurs ont mobilisé cette semaine les directions des grands groupes du secteur et quelques journalistes impatients de savoir qui avait "signé". Teresa Cremisi, P-DG de Flammarion, a devancé leurs appels, en annonçant dès le 27 septembre ses accords pour la vente de livres numériques avec Amazon, concepteur de la fameuse liseuse, et avec Apple, inventeur de la non moins célèbre tablette iPad. Pour paraphraser Andy Warhol, son groupe, qui édite justement l'artiste, a du coup bénéficié de plus d'un quart d'heure de gloire médiatique en l'absence de déclaration d'Amazon : après avoir programmé des rendez-vous avec la presse, en lui faisant signer l'invraisemblable accord de confidentialité que les éditeurs ont dû aussi accepter, le cybermarchand américain a finalement décidé d'un black-out complet jusqu'à l'annonce - imminente - de la mise en vente de la version française de sa liseuse. Au vu des performances réalisées depuis trois ans aux Etats-Unis par le Kindle, mais avertis aussi des rugueuses méthodes de négociations de l'entreprise, les éditeurs attendent et redoutent à la fois cette arrivée, préparée avec circonspection.

"Nous discutons avec Amazon depuis deux ans." TERESA CREMISI, FLAMMARION- Photo O. DION

PRUDENCE MILLIMÉTRÉE

"Nous discutons depuis deux ans", révèle ainsi Teresa Cremisi. Le groupe La Martinière a pris également son temps, avant d'accélérer les échanges pour aboutir à un accord, à la signature, jeudi 6 octobre au soir. Gallimard travaille encore sur les problèmes de format et d'affichage de ses ebooks, à adapter aux normes des différentes versions de la machine d'Amazon. "Il n'est pas évident que nos livres soient disponibles à l'ouverture du Kindle Store, mais il est plus que probable qu'ils y seront un jour", avance avec une prudence millimétrée Alban Cerisier, secrétaire général de la maison et responsable du développement numérique. Chez Albin Michel, "on en discute", déclare sobrement Alexis Esménard, également responsable du développement numérique. La durée du contrat (deux ans) et les conditions de paiement (90 jours fin de mois) proposées dans la version de base de l'accord font parties des clauses fermement renégociées. Hachette Livre, qui avait irrité les libraires en inaugurant des accords avec Sony et la Fnac, puis avec Apple, se contente maintenant de ne pas démentir que les livres du groupe seront prochainement lisibles sur le Kindle.

A côté de ces grandes marques de l'édition dont les contenus lui sont indispensables, le cyberlibraire a déjà mis en ligne des milliers de titres de maisons de moindre surface, mais tout aussi nécessaires à la variété de son offre. "Amazon est en phase absolue de demande", confirme Xavier Pryen, directeur général de L'Harmattan. "Nous avons 500 titres numérisés disponibles sur le site, il en reste 2 000 à venir prochainement, et nous en prévoyons 6 000 d'ici à la fin de l'année", précise le responsable de la maison, qui dispose d'un fonds de près de 20 000 titres. On trouve aussi des centaines de guides du Petit Futé, de même les ebooks de Publie.net, du consortium universitaire Quae, de l'Herne, Maxima, EMS, etc., qui ont tous confié leur distribution-diffusion numérique à Immateriel. "Nous sommes en test depuis plusieurs semaines", confirme Xavier Cazin, patron et fondateur de la plateforme, qui précise avoir signé pour 18 mois. D'ici à quelques semaines, Amazon devrait donc disposer d'une offre en français similaire à celle d'Apple, de la Fnac, de Chapitre.com et de la soixantaine de libraires indépendants qui se sont déjà lancés. La différence ne se fera donc pas vraiment sur l'offre, même si le champ du contenu en anglais et en allemand donnera immédiatement une richesse supplémentaire au site.

DES PRIX VERROUILLÉS

L'avantage ne sera pas non plus tarifaire, du moins avec les éditeurs installés, qui veillent à ne pas déstabiliser leurs ventes de livres papier : tous ont verrouillé le contrôle absolu de leurs tarifs par des contrats de mandat. "Les discussions sur les prix ont été les plus longues, notamment autour du poche", reconnaît Teresa Cremisi, qui ajoute avoir contractualisé pour un délai très court.

La gamme de prix des titres de Flammarion va ainsi de 2 euros pour les livres de poche classiques, comme ceux de Garnier-Flammarion, à 17 euros pour certains documents vendus en grand format papier, alors que les romans sont à 14,99 euros. "Ces prix correspondent à des collections que nous avons définies par genres ou thématiques, mais ils ne sont pas liés à la pagination du livre papier", ajoute Thierry Capot, responsable du développement numérique du groupe Flammarion. Pour ses classiques, l'éditeur n'avait pas trop le choix : même s'ils bénéficient d'un appareil critique ou de retraductions qui font référence (notamment pour les philosophes grecs), les titres de Garnier-Flammarion se trouvent confrontés à une concurrence tarifaire encore plus radicale que dans le papier : tous les grands auteurs du XIXe siècle sont déjà disponibles gratuitement sur le Kindle Store. Et Amazon devrait s'entendre à utiliser des outsiders, éditeurs inconnus ou auteurs autoédités, comme on peut le voir sur les versions américaine, britannique et allemande du site, qui abondent d'une improbable littérature à quelques dizaines de centimes d'euros. Les contenus sont peut-être à la hauteur des prix, mais ils contribuent à installer l'idée que le numérique n'est pas cher. Il n'est pas certain que Et si c'était vrai (Marc Levy), déjà disponible dans le Kindle Store, reste à 8,04 euros, soit 1,46 euro de plus que chez Pocket. Les "Folio" numérisés, actuellement en vente sur les sites concurrents, sont aussi plus chers que leurs versions papier. La différence vient certes de la TVA, mais c'est une curiosité qui ne pourra durer.

99 EUROS POUR LE KINDLE DE BASE

Amazon maîtrise au moins le prix de sa liseuse, qu'il ne cesse de baisser. Le Kindle de base (Wi-Fi sans clavier ni écran tactile) est à 99 euros en Allemagne. La version avec clavier et connexion 3G est à 139 euros, ce qui en fait un des modèles les moins chers du marché avec ce niveau d'équipement. En France, les concurrents qui profitaient encore d'une relative tranquillité ont tous prévu de baisser leurs prix, quand ils ne l'ont pas déjà fait.

Ce sera un des arguments de la grande campagne de communication que la librairie en ligne prépare pour la fin de l'année. Dans toute la presse magazine (L'Express, Le Nouvel Observateur, Le Point, Télérama, etc.), Amazon a réservé les emplacements les plus chers et les mieux situés pour une campagne qui doit durer six semaines, de début novembre à mi-décembre. Idem dans la presse quotidienne nationale, avec des passages hebdomadaires prévus sur la même période. Et comme elle l'avait fait avec l'iPad, la presse devrait accorder un large écho à cette nouveauté qui la concerne autant que les éditeurs de livres : Amazon a signé un premier accord de diffusion avec le GIE Presse, qui regroupe pour le moment cinq quotidiens nationaux et trois magazines. Les contenus circuleront via la plateforme Milibris, fondée par Guillaume Monteux.

Une campagne d'affichage dans les gares et le métro est également prévue courant décembre. Et sur Internet, clients et visiteurs d'Amazon n'échapperont pas à la présentation du Kindle en page de garde du site, avec un message de Jeff Bezos, P-DG du groupe américain. Ce qui fait du monde : au dernier classement Médiamétrie des sites d'e-commerce en France, Amazon.fr affichait presque 10 millions de visiteurs uniques par mois, juste derrière eBay.

Le système d'achat en un clic, désormais très bien rodé, facilitera aussi les ventes auprès des clients habituels du cybermarchand qui ont enregistré leurs coordonnées bancaires. Et là, il n'y aura plus à attendre l'expédition postale : le livre numérique acheté sur ordinateur ou directement sur le Kindle est immédiatement disponible sur la liseuse, partout si elle est équipée d'une puce 3G, avec la condition d'être au milieu d'un réseau Wi-Fi si l'appareil ne dispose que de cette connexion. Le Cybook, le Fnacbook et l'Oyo offrent cette fonctionnalité de chargement direct, mais seulement si le livre est acheté via un de ces terminaux. Via un ordinateur, plus pratique pour la recherche, l'opération est moins fluide que sur Amazon, qui laisse même le choix d'envoyer immédiatement l'ebook sur d'autres types de terminaux que le Kindle, ou de l'expédier comme cadeau à un client-ami, à la seule condition d'en connaître l'adresse mail. Tout est donc fait pour faciliter l'achat d'impulsion en quantité. Et comme au tout début d'Amazon, les premiers clients visés sont les gros lecteurs, la part la plus dynamique du marché du livre, qu'Amazon connaît très bien.

LA BELLE COMBINE DE LA TVA LUXEMBOURGEOISE

"Avec le Luxembourg, le taux de TVA se négocie", explique Benoît Tabaka, directeur juridique de PriceMinister, qui a discuté avec le ministère des Finances du grand-duché. Rakuten, l'actionnaire japonais du site français, avait envisagé de s'y installer. "Tout est oral, et aucun écrit ne confirme un éventuel accord." Le projet a été abandonné, mais il a permis au juriste de vérifier ces pratiques qui ont fait l'objet d'un rapport parlementaire et de diverses discussions dans les assemblées et à la Commission européenne. La souplesse de l'application de la TVA sur les produits culturels dans cet Etat grand comme un demi-département est appréciée d'Amazon et d'Apple, mais aussi de la filiale de Sony créée cet été, qui hébergera la librairie numérique du fabricant du Reader.

UN TAUX BIEN INFÉRIEUR

Le livre numérique étant considéré comme un service, et non un bien, c'est la TVA du pays du vendeur qui s'applique, et non celle de l'acheteur. Officiellement, la TVA sur les services est à 15 % au Luxembourg, mais la TVA sur les droits d'auteur est à 3 %. "Le ministère considère que le livre est un combiné de services et de droits d'auteur, dont il fixe les proportions notamment en fonction du volume de transactions attendu", explique Benoît Tabaka. Ce qui permet d'obtenir un taux bien inférieur à 15 %. Apple le déclare à 12 % dans ses contrats. Amazon n'indique rien sur ses factures, ne répond pas aux questions sur ce sujet.

LE COURS DE LA LISEUSE

Kindle vendu aux Etats-Unis : le moins cher (79 $).

En réaction à l'arrivée du Kindle, les concurrents déjà installés baissent leurs prix. "Nous avons ramené le prix du Cybook Orizon à 139 euros et l'Opus est à 119 euros", indique ainsi Michael Dahan, cofondateur de Bookeen, le seul concepteur français de liseuses numériques. Appliquée le jour de la présentation de la tablette Kindle Fire aux Etats-Unis, la décision est passée relativement inaperçue, bien que la baisse soit conséquente, à - 25 %. Bookeen indique avoir vendu 50 000 liseuses l'an dernier, essentiellement en Allemagne et en France. "Nous avons serré les coûts de fabrication et nos marges, et nous espérons doubler nos ventes cette année", >explique Michael Dahan. L'entreprise a réalisé 6,4 millions de chiffre d'affaires en 2010, et 220 000 euros de bénéfice net. "Nous préparons pour la fin de l'année un modèle qui sera réellement innovant, et nous investissons dans notre librairie numérique", ajoute le président de Bookeen.

Kindle vendu aux Etats-Unis : une version clavier (99 $).

Le 15 octobre, Sony lancera son nouveau modèle de Reader annoncé pour fin août, à 149 euros, soit 100 euros de moins que le précédent, plus commercialisé. "Il est doté d'un écran tactile et d'une connexion Wi-Fi", précise Fabian Gommuccio, chef de produit, également chargé des tablettes couleur lancées en France le 1er octobre. Au printemps prochain, Sony ouvrira une librairie numérique européenne. Installée au Luxembourg, la société de vente a été créée cet été.

Le Fnacbook (179 €).

La Fnac, en tête des ventes chez les éditeurs qui n'ont pas signé aussi avec Apple, annonce un nouveau Fnacbook pour la fin de l'année, sans plus de précisions. Le modèle actuel (tactile, Wi-Fi, 3G) est à 179 euros depuis mai dernier, soit 20 euros de moins que lors du lancement en novembre 2010. La Fnac n'a pas le choix : le concepteur de sa liseuse actuelle, Mobiwire, ex-filiale téléphonie mobile de la Sagem, a fait faillite.

Chapitre.com >qui a fait aussi appel à Mobiwire pour son Oyo (149 euros, tactile, Wi-Fi, épuisé) se trouve dans la même situation. Jorg Hagen, son président, promet de nouveaux modèles de liseuse noir et blanc et tablette couleur pour la fin de l'année.

L'Oyo de Chapitre.com (149 €).

Kobo, le libraire numérique canadien anglophone qui a lancé sa propre liseuse confirmera le lancement de son site dédié au marché français "prochainement", indique Pieter Swinkels, directeur Europe des relations avec les éditeurs.

L'ukrainien Pocketbook, qui a pris une représentation à Paris lors du dernier Salon du livre, a légèrement baissé le prix de sa liseuse (tactile, Wi-Fi), à 160 euros.

Les années Amazon

 

Arrivé en France il y a tout juste onze ans, le leader mondial du commerce en ligne a suscité une véritable onde de choc sur le marché du livre.

 

Dans le centre logistique d'Amazon à Saran, 2007.- Photo OLIVIER DION

Grandiose, le lancement d'Amazon France organisé en septembre 2000 à Paris, sur une dizaine de péniches amarrées au pied de la BNF, annonçait l'arrivée, sur le marché français, d'un opérateur disposant d'une exceptionnelle force de frappe. Et de fait, en débarquant avec un service logistique performant, un centre d'appel multilingue pour les clients désireux de suivre leurs commandes, une base de données étendue et un moteur de recherche efficace, le site a vite marqué sa différence par rapport aux autres intervenants (Fnac.com, Alapage, Bol aujourd'hui disparu...) et a été le premier contributeur au décollage du e-commerce en France. Mais comme l'explique Régis Pineau, directeur commercial de Dunod, "la grande force d'Amazon est d'avoir tout de suite compris l'enjeu que représente la disponibilité des ouvrages, ce qui l'a rapidement conduit à élargir ses stocks ». Résultat, en une décennie, le site est devenu incontournable dans la vente de livres. Bien que l'intéressé ne communique aucun chiffre, la plupart des estimations lui attribuent 60 % des ventes de livres réalisées sur Internet... soit 60 % d'un segment représentant aujourd'hui 10 % du marché du livre, contre preque zéro il y a dix ans. Sachant que dans le même temps le marché du livre est resté globalement stable, on comprend bien que ce qui a été gagné d'un côté a été perdu de l'autre. Toutefois, en France, où les ventes en ligne ont démarré plus lentement qu'ailleurs, la prise de conscience du phénomène n'a pas été immédiate. Comme l'explique Joël Faucilhon, fondateur de Lekti-ecriture.com, "c'est entre 2004 et 2005 que le déclic a eu lieu lorsque les éditeurs se sont aperçus de l'importance que prenaient dans leurs ventes le e-commerce et en particulier Amazon.fr ».

« ASPIRATEUR DE FONDS. »

Jeff Bezos lors de sa première conférence de presse dans l'Hexagone, pour le lancement du site français fin août 2000.- Photo OLIVIER DION

Fort de sa position et désireux de la consolider, le site a franchi deux étapes importantes avec l'ouverture en 2003 d'un marketplace accueillant l'offre de libraires partenaires, puis le lancement en 2006 de son programme Avantage qui consiste pour les éditeurs et les diffuseurs à placer leurs ouvrages à faible rotation en dépôt-vente dans les stocks du site. Visant au départ les petites structures, ce programme en a depuis attiré de plus importantes. Et pour cause. Un ouvrage présenté comme immédiatement disponible afficherait des ventes supérieures en moyenne de 30 %. "Amazon est ainsi devenu un véritable aspirateur de fonds pour les éditeurs », estime Joël Faucilhon.

Mais surtout, en étant capable de proposer des délais de livraison compris entre 24 et 48 heures, Amazon.fr est venu concurrencer les libraires sur leur point fort. D'autant que le site n'a cessé d'enrichir ses services avec le programme Recherche au coeur, la livraison le soir pour les Parisiens... Par ailleurs, en offrant systématiquement les frais de port à partir du milieu des années 2000, il a fortement déstabilisé les rapports concurrentiels. "La gratuité du port a bouleversé le modèle économique du e-commerce, estime Renaud Vaillant, responsable marketing de Gibert Joseph. Les petites structures qui n'ont pas les moyens d'offrir ce coûteux service d'expédition se retrouvent encore plus marginalisées sur Internet. » Dès lors, estime Renaud Vaillant, "la clé de résistance pour les librairies repose de plus en plus sur le conseil, l'accueil et la pertinence de l'offre, quitte à ce que celle-ci se traduise par des partis pris forts ».

INTOLÉRABLE

Pour Matthieu de Montchalin, président du SLF et directeur de L'Armitière à Rouen, "la montée en puissance d'Amazon a surtout pointé certaines défaillances dans la chaîne du livre. Il est désormais intolérable pour les libraires de devoir attendre 4 à 6 jours avant de recevoir une commande. Les distributeurs doivent impérativement réduire leurs délais de traitement. En outre, il n'est pas normal que les éditeurs et les diffuseurs, dont certains acceptent les conditions commerciales hors norme d'Amazon, ne soutiennent pas mieux la présence d'ouvrages de fond en librairie ».

Patrick Gambache : "Eden est prêt pour Amazon et Apple »

 

Patrick Gambache a été nommé cet été président d'Eden, la plateforme de distribution de livres numériques des groupes Flammarion, Gallimard, La Martinière, et de leurs éditeurs affiliés. Egalement responsable du développement numérique et de la coordination éditoriale du groupe La Martinière, et directeur général de Points, la filiale poche du Seuil, il est l'un des acteurs des transformations que va traverser l'édition dans les prochaines semaines avec l'ouverture de la librairie numérique d'Amazon.

 

Livres Hebdo - Comment la direction d'Eden Livres, que vous présidez désormais, est-elle organisée ?

Patrick Gambache- Photo OLIVIER DION

Patrick Gambache - Les trois actionnaires à parts égales nomment à tour de rôle le président de cette société, qui n'est pas forcément celui d'un des trois groupes. Hervé de La Martinière, à qui revenait ce choix après Antoine Gallimard, m'a demandé d'assurer cette fonction. Dans un an, la décision reviendra à Teresa Cremisi, P-DG de Flammarion. Il y a également deux directeurs généraux, nommés sur le même principe : Thierry Capot [par ailleurs responsable du développement numérique et contrôleur de gestion du groupe Flammarion] et Alban Cerisier [secrétaire général de Gallimard, également chargé du développement numérique].

La plateforme de diffusion de livres numériques dispose-t-elle de moyens propres et de salariés ?

Chacun des trois actionnaires délègue ses représentants et des collaborateurs qui participent au comité de pilotage technique, mais il n'y a aucun salarié chez Eden. Les développements et l'assistance sont assurés par la société canadienne De Marque, notre prestataire de service mais aussi notre partenaire, qui travaille aussi pour les plateformes des éditeurs canadiens et italiens et fait circuler le savoir-faire entre ces trois entités.

Au-delà des 150 000 euros de capital initial, quel est le montant de l'investissement global ?

Chaque actionnaire a réinjecté 30 000 euros cette année, soit un investissement total de 230 000 euros depuis le lancement d'Eden. La plateforme disposera aussi de ressources et de contenus supplémentaires avec l'arrivée prochaine du groupe Actes Sud, qui prendra une participation sous forme d'augmentation de capital, dont le montant et les modalités restent à fixer. Nous souhaitons poursuivre l'accueil d'autres partenaires, à côté des éditeurs qui font appel à nous comme prestataire d'un service de distribution numérique via leur diffuseur. Outre ceux de Volumen, Gallimard-CDE, et UD-Union Distribution, la plateforme distribue ainsi les éditeurs d'Harmonia Mundi et Ouest-France Diffusion.

Quels sont les revenus d'Eden ?

Les recettes viennent d'une commission sur les ventes, variable mais inférieure à 10 %, et d'un forfait fixe de 5 euros pour le dépôt de chaque titre. Le service comprend la distribution des livres numériques à tous les revendeurs que nous désignent les éditeurs, au prix et selon les conditions qu'ils souhaitent : avec ou sans DRM, en ePub ou PDF suivant le type de fichier choisi, en entier ou par chapitre... Eden est un prestataire technique, et chaque éditeur, ou son diffuseur, conserve l'entière maîtrise de sa politique commerciale. Ils disposent aussi en temps réel de toutes les statistiques de vente par librairie, du volume et du lieu des consultations d'extraits, etc.

Quelle est l'offre et quelles sont les ventes de la plateforme ?

Les 65 éditeurs proposent actuellement 8 164 fichiers, en majorité au format ePub, aux 64 librairies connectées, dont quelques-unes à l'étranger, y compris en dehors des zones francophones. Au cours des douze derniers mois, ils ont vendu environ 46 000 livres numériques, contre 4 600 l'année précédente, pour l'essentiel en littérature et sciences humaines. Le policier et les romans historiques réalisent aussi de bons scores. L'an dernier, Michel Houellebecq, prix Goncourt, était en tête des ventes.

Et quelles sont les librairies les plus vendeuses ?

La Fnac représente pour le moment les deux tiers de l'activité. L'eBookstore, la librairie d'Apple, démarre bien, dans la mesure où, parmi les membres d'Eden, seul le groupe La Martinière avait signé un accord, il y a moins de trois mois. Les librairies indépendantes sont bien présentes, mais leur activité est encore limitée. Les exemples d'Immateriel ou de Feedbooks, qui se classe au sixième rang des revendeurs reliés à Eden, montrent toutefois qu'il n'est pas indispensable de disposer d'une grosse infrastructure pour tenir sa place dans ce marché.

L'arrivée d'Amazon va modifier ce classement ; après Flammarion, La Martinière est-il prêt à vendre ses livres numériques sur le Kindle store ?

Eden est prêt techniquement, avec un bouton qu'il suffit d'activer sur le back-office, pour Amazon et Apple. Mais le démarrage est du ressort de ces revendeurs. La plateforme n'est qu'un prestataire de service, et n'est pas décisionnaire en matière commerciale. En ce qui concerne La Martinière, nous venons tout juste de signer un accord avec Amazon.

Contrairement au principe que défendaient les éditeurs, Apple et Amazon exigent d'avoir les fichiers numériques sur leurs propres serveurs ; ont-ils obtenu satisfaction ?

La technologie a changé entre-temps. Alors qu'on nous demandait auparavant de déposer ces fichiers sur un serveur FTP, sans pouvoir vraiment maîtriser leur usage ensuite, nous fonctionnons maintenant en Web service, qui permet un flux permanent d'échanges et laisse à l'éditeur l'entière maîtrise de ses ventes, y compris leur interruption s'il le souhaite. D'autre part, les livres numériques d'Apple et d'Amazon disposent d'une DRM propre, gérée en interne par ces deux revendeurs.

N'est-ce pas un avantage pour ces deux opérateurs, par rapport aux libraires qui ne peuvent que déclencher l'envoi d'un lien, sans disposer eux-mêmes de l'ebook ?

Pour gérer jusqu'au bout la vente de livres numériques, y compris l'envoi du fichier, il faut une infrastructure dont les indépendants ne disposent pas forcément, notamment en termes de sécurité et de protection des données. Mais nous travaillons avec les opérateurs de téléphonie et fournisseurs d'accès à Internet à un système de portail ouvert qui laissera toute sa place aux libraires indépendants. Notre objectif est bien de travailler avec le plus grand nombre de revendeurs, et notamment de librairies : le contraire serait une erreur.

Eden est-il prêt aussi à une distribution via Google eBooks, la librairie numérique de Google ?

Non, il n'y a aucun projet pour le moment. Et en ce qui concerne l'accord signé par La Martinière, la première tâche sera d'identifier les oeuvres indisponibles numérisées par Google et toujours sous droits d'auteurs, ce qui va nous prendre du temps, notamment pour les titres les plus anciens, avant la généralisation de l'ISBN.

Eden prévoit-il aussi d'ouvrir le prêt de livres numériques en bibliothèques pour les éditeurs qui le souhaiteront ?

Oui, c'est le chantier prioritaire de cette fin d'année. Et nous discutons avec les libraires pour voir comment les intégrer dans ce circuit : quand nous affirmons vouloir travailler avec eux, ce n'est pas un vain mot.

La loi sur le prix unique du livre numérique devrait entrer en vigueur cet automne, quelles en seront les conséquences pour les relations avec les revendeurs ?

Il n'y aurait plus besoin de contrats de mandat, qui pourraient être remplacés par des conditions générales de vente. Nous réfléchissons à leur application chez La Martinière.

La TVA à 5,5 % reste annoncée pour le 1er janvier prochain ; le groupe prévoit-il de répercuter l'intégralité de la réduction sur le prix de ses livres numériques, fixé en fonction du taux actuel à 19,6 % ?

On ne sait pas encore si cette décision va vraiment passer, même si nous participons aux efforts des pouvoirs publics pour la faire valider auprès des instances européennes. Et nous n'avons pas tranché la question de ses conséquences, entre une baisse des prix, une meilleure rémunération des droits numériques pour les auteurs et une amélioration de la marge.


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