Lune nourricière. Personne ne connaît mieux les plantes lunaires que l'humanoïde El Jarnine. C'est elle qui gère seule la ferme Lalande : elle surveille avec attention le pullulement des minicolas, des sortes de méduses qui se déplacent avec les courants de poussière, et chaque jour de cette année 2324, elle envoie son rapport à la Commanderie de Mut, la cité qui l'emploie. L'androïde aime la terre, celle qui fait pousser les plantes. Elle a conçu un écosystème potager et floral élaboré, laisse ici le chèvrefeuille en liberté, soigne plus loin des orangers et repique avec soin ses poireaux... El Jarnine est devenue une observatrice avisée de la vie sur la Lune, où demeure une mythologie de la conquête héroïque − bien que jalonnée par les guerres − d'une dernière frontière. On y glorifie le courage des « Soulunaires », qui vivent dans des cités troglodytes et craignent les pluies de météorites, les robots fous errants, mais surtout la fièvre aspic qui se développe dangereusement. Si El Jarnine a la faculté de produire des calculs complexes, ce sont pourtant les sentiments humains qu'elle analyse avec le plus affûté des jugements, tout comme ce penchant pour la violence qu'elle décrypte ainsi : « Peut-être qu'agresser les autres est une façon d'exprimer une liberté personnelle entre les bornes imposées par un environnement dangereux ? » Le rôle d'El Jarnine est avant tout de nourrir les habitants des villes, mais la ferme accueille aussi des enfants en mal de végétation, comme Sileqi, une fille silencieuse et ultrasensible, harcelée à l'école. La fermière androïde se lie avec elle, lui apprend à caresser la chair des plantes et l'amène visiter le musée des Sensations terrestres, où l'on peut traverser une jungle ou sentir les effets de la pluie... El Jarnine aimerait adopter Sileqi pour la soustraire à un père maltraitant, d'autant que la petite fille se révèle être une horticultrice hors pair. Mais un drame se produit... Livrée à nouveau à elle-même, El Jarnine rêve alors d'explorer des territoires inconnus. Réalisant qu'elle doit, comme un être humain, faire le deuil de sa jeune amie, elle décide de se rendre vers les confins, sur la face cachée de la Lune, précisément dans la Cité Franche, curieusement immunisée contre le mal de la fièvre aspic. Le périple sera jalonné de rencontres inattendues, et El Jarnine s'efforcera alors de rendre les humains plus humains. Son voyage se transforme en errance initiatique, nous interrogeant finalement sur ce qui nous rend, nous les humains « terrestres », si lunaires, si attirés par ce qui est caché et enfoui en nous. Au fil de ce magnifique roman de réparation et de retrouvailles, sorte d'épopée hors du temps et de la gravitation, Catherine Dufour nous offre une brillante réflexion sur la difficulté de la condition humaine, qu'avec poésie, El Jarnine résumerait ainsi : « La respiration longue des végétaux rend les humains impatients. »
Les champs de la Lune
Robert Laffont
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 20,50 € ; 288 p.
ISBN: 9782221274552