Catherine Cusset : "Je compare Proust à Molière et à Woody Allen."

Catherine Cusset chez elle à Paris - Photo OLIVIER DION

Catherine Cusset : "Je compare Proust à Molière et à Woody Allen."

À deux semaines d'intervalle, Catherine Cusset, romancière à succès et championne de l'autofiction sans fard, publie deux livres complémentaires : un essai très personnel, Ma vie avec Marcel Proust, et une édition illustrée de son roman Vie de David Hockney. L'occasion rêvée de parler avec elle de son œuvre et de ces deux grands créateurs qu'elle a pris pour sujets.

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Par Propos recueillis par Jean-Claude Perrier Photos Olivier Dion
Créé le 17.03.2025 à 11h00

Deux livres de vous paraissent presque en même temps, l'un sur Marcel Proust, l'autre sur David Hockney. C'est un hasard, mais y a-t-il des rapports entre les deux ?

Deux créateurs fascinés par le temps, celui

de l'écriture et celui de la peinture. David Hockney est d'ailleurs un proustien. Les deux pratiquent l'humour, l'autodérision, et les deux ont dû lutter pour que leur œuvre soit comprise. Proust était considéré comme un mondain qui se fait plaisir,

un dilettante délicat, fin, précieux... Hockney

a été longtemps méprisé, sa peinture figurative

jugée « bourgeoise », décorative, agréable à regarder...

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Catherine Cusset chez elle à Paris.- Photo OLIVIER DION

Et puis, lors de votre deuxième rencontre avec Hockney, il y a eu ce déjeuner proustien au Grand Hôtel de Cabourg...

Oui, en avril 2019. C'était un sketch à la Monty Python. On nous a servi le menu Marcel Proust, avec une sole et des pommes de terre pas cuites, prétendues « al dente ».

C'est un restaurant luxueux, le menu doit être onéreux. Qui a payé l'addition ?

Pas moi, vous vous en doutez bien, puisque je suis radine (et indiscrète, vaniteuse, gaffeuse, on me surnomme « Catherine la gaffe »), j'en ai même fait un livre [Confessions d'une radine, Gallimard, 2003]. C'est Jean Frémon, de la galerie Lelong, l'agent de Hockney en France, qui a payé. Mon mari, Américain d'origine roumaine, m'a dit : « Vous auriez dû prendre du vin ! »

Comment est né Vie de David Hockney ?

À la base, c'était une commande des beaux livres chez Gallimard. Je devais écrire un texte de quarante pages pour un album sur l'artiste. Mais comme j'en ai écrit cent quatre-vingts et que c'était un roman, l'éditeur Jean-Marie Laclavetine l'a récupéré pour la « Blanche », où il est paru en 2018. Il a ensuite été repris en « Folio ».

Connaissiez-vous bien cette œuvre ?

Je ne suis pas critique ni historienne de l'art, c'était juste une peinture que je connaissais partiellement, et que j'aime. Et j'éprouvais pour l'artiste une grande curiosité.

À l'époque, vous ne l'aviez pas rencontré ?

Surtout pas ! Je n'ai pas essayé. Si je lui avais parlé du projet, il aurait sans doute voulu le lire, et peut-être le censurer, à cause de ma lecture de sa vie privée, de sa vie sentimentale. J'avais l'impression d'être une sorte de fouille-merde. Il y avait un risque qu'il nous intente un procès pour atteinte à la vie privée. Avec son argent et la puissance de ses avocats, nous n'aurions pas fait le poids ! Bien sûr, Gallimard a fait relire le texte par un avocat, qui n'a souligné qu'une phrase. Quand j'écris, je ne pense pas aux conséquences.

Et finalement, comment David Hockney a-t-il réagi ?

Comme il ne parle pas français, il a fait lire le livre par trois amis à lui. Les rapports ont été positifs. Et on a fini par se rencontrer. Une première fois, dans sa galerie new-yorkaise. Il m'a dit : « You got me ! », expression difficile à traduire. Quelque chose comme : « Vous m'avez saisi ! » Je raconte nos rapports dans la postface inédite ajoutée, avec cinquante illustrations de Hockney, au roman qui reparaît pour l'exposition [à la Fondation Louis Vuitton à partir du 9 avril]. C'est une chance formidable pour ce livre de connaître une nouvelle vie. J'ai juste ajouté quelques actualisations et une page sur sa période normande que j'aime beaucoup.

Votre livre Ma vie avec Marcel Proust, qui prend place dans la collection « Ma vie avec » créée par l'académicien François Sureau et maintenant dirigée par Sandrine Treiner, est un essai très subjectif, presque une autofiction, un genre où vous vous êtes souvent illustrée...

En effet, et dans l'autofiction, je n'invente pas. Je raconte mes trois lectures d'À la recherche du temps perdu à trois moments de ma vie, mon usage de Proust, comme un miroir, à 15 ans, 20 ans, 50 ans. La première, c'était une lecture « amoureuse ». Je l'ai tout de suite adoré, je le lisais avec passion. Il mettait en mots exactement ce que je ressentais. J'y retrouvais ma propre histoire familiale : un père invisible, une mère qui voulait un enfant pour partager son goût de la littérature. À aucun moment Proust ne moralise, c'est plutôt un clinicien de l'amour. Ma deuxième lecture, cinq ans plus tard, était plus sociétale. La recherche est un roman sur une certaine société du temps de Proust. Je le compare à la fois à Molière et à Woody Allen. Le narrateur rit beaucoup à ses propres dépens, avec un sacré sens de l'autodérision, c'est un animal humain très comique. Il peut être aussi très caustique, voire cruel dans la peinture psychologique de ses personnages. Enfin, à 50 ans, ce qui m'a frappé, entre autres, c'est le rapport de Proust à la judéité : comme lui, j'ai une mère juive et un père catholique. Et j'ai retrouvé tous mes défauts dans le personnage de Bloch, l'un des rares Juifs de son œuvre, avec Swann et Rachel.

Aujourd'hui, qu'est-ce qui vous plaît le plus chez Proust ?

Dans sa peinture du raffinement, de la grâce, incarnés par l'aristocratie, on sent le désir du narrateur d'entrer dans ce monde, comme Bloch ou Madame Verdurin. Et puis il y a l'homosexualité, de plus en plus présente au fil des volumes, surtout dans Le temps retrouvé, où le personnage de Charlus occupe une place centrale. J'aime, chez Proust, son honnêteté, son courage, à l'opposé du politiquement correct. Il n'y a pas beaucoup d'écrivains qui soient aussi crus que lui ! Ce n'était pas facile d'écrire sur quelqu'un qui vous est supérieur intellectuellement, artistiquement. Je l'aime aussi parce qu'il doute. Également pour l'histoire rocambolesque de la publication de son œuvre, qui me renvoie, toutes proportions gardées, à mon propre parcours d'écrivain : mon premier roman, La blouse roumaine, a été publié facilement, par Philippe Sollers, dans « L'Infini », en 1990. Ça a été un flop total. Pour les deux suivants, il ne m'a jamais donné de nouvelles. J'étais sur le point de quitter Gallimard et de signer ailleurs quand j'ai été repêchée.

Vous dites que Proust est « un écrivain qui fait du bien », notamment aux écrivains...

Oui, parce qu'il nous apporte la certitude totale qu'il faut faire son œuvre, et ne jamais renoncer à la propager auprès des lecteurs. Il a une foi absolue en la littérature, et elle me porte également. Ma seule religion, c'est la littérature.

Vos prochains projets ?

Je songe en même temps à un roman et à une autofiction. J'ignore pour l'instant lequel des deux je vais écrire.

Catherine Cusset
Ma vie avec Marcel Proust
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 18 € ; 240 p.
ISBN: 9782073110930

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