12 mars > Roman Brésil

L’étudiant de chinois a misé sur la langue du futur. L’empire du Milieu étant en passe de devenir la première puissance mondiale, mieux vaut anticiper et se mettre du côté du manche. L’étudiant de chinois malgré tout son sérieux ne maîtrise toujours pas cet impossible idiome à tons. Le fait que les enseignants de l’école de langues changent tout le temps n’arrange rien, la solution est d’apprendre sur place. A l’enregistrement pour le vol de Shanghai, le sinisant reconnaît dans la file son ancienne enseignante. A peine a-t-il le temps de saluer la jeune femme chinoise que la voilà alpaguée par un type. Et l’étudiant de chinois de se retrouver de son côté embarqué au poste. Ainsi commence le nouveau roman de Bernardo Carvalho, Reproduction, imbroglio virtuose aux accents policiers. L’interpellé exige une libération sur-le-champ, sans quoi il ratera son avion, jure ses grands dieux qu’il n’a rien à voir dans cette histoire de trafic dans laquelle son ex-professeure de chinois semble impliquée. Ces efforts d’autodisculpation donnent lieu à un échange des plus cocasses entre lui et le policier, ou plutôt à un monologue puisque Carvalho ne laisse entendre que la voix de l’étudiant de chinois faisant les questions et les réponses dans une logorrhée proche de l’hystérie. La circularité du récit de cette caricature de Brésilien complaisant, se targuant d’appartenir à une nation métisse et ouverte alors qu’il se révèle réactionnaire, raciste, homophobe, rappelle la hargne obsessionnelle des narrateurs de Thomas Bernhard.

Entrelacs d’histoires, intrigues à tiroirs - une église évangélique couvre un réseau mafieux ; un Indien, ultime représentant d’une langue vernaculaire, a été abattu par un missionnaire ; le policier a un fils caché, fruit de noces barbares ; sa supérieure est une masochiste férue de club de rencontres -, comme toujours chez l’auteur d’Aberration… le lecteur est invité à se perdre dans les élucubrations des personnages et les thèmes de prédilection de l’écrivain né à Rio de Janeiro en 1960 - réalité duplice et puissance du langage. Si l’on est déboussolé, c’est que la littérature ne fait que traduire l’opacité du réel.

Lorsque le flic quitte la pièce, l’étudiant de chinois peine à entendre ce qui se dit de l’autre côté du mur. "Et, tout comme il est incapable de reconnaître les tons du mandarin, il ne lui reste plus qu’à imaginer, à présent dans sa propre langue, à cause d’une défaillance de la réalité, l’oreille collée à la cloison minable, ce qu’il désire entendre dans la pièce à côté." Quand manquent les faits, la fiction comble les trous. Sean J. Rose

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