L’écrivain Pierre Autin-Grenier, qui vivait lui-même loin de Paris et à qui ce livre est dédié, avait eu la bonne idée, en 2011, d’offrir à sa consœur et amie Christine Van Acker un petit carnet de moleskine noir afin qu’elle puisse y mettre en mots son ennui à la campagne. Car, voilà une dizaine d’années, les Van Acker ont décidé de quitter Bruxelles, se sont acheté (53 000 euros aux enchères) une maison au bout du monde, dans une vallée de la Gaume, en Lorraine belge, s’y sont installés… Et s’y emmerdent ferme, apparemment. Alors Christine, jusqu’ici auteure d’une poignée de livres confidentiels, poèmes et nouvelles, s’est mise à la tâche, et cela a donné Ici, un livre plein de charme qui n’est pas sans rappeler le Delerm d’Il avait plu tout le dimanche.
Ici, c’est une gerbe d’une cinquantaine de textes brefs. Petites scènes de la vie villageoise : la fête, un déjeuner chez le châtelain, ou la balade de Quentin, 5 ans, avec Jean, son vieux Papy essoufflé mais vaillant quand même. Plaisirs minuscules, comme celui de savourer, à peine cueillies, les carottes de son propre potager, cultivées de ses mains. Sans oublier la réalité sociale, pas toujours rose : le jeune Dylan, futur chômeur qui exorcise son mal de vivre en faisant pétarader sa moto, tandis que son concitoyen Kevin, lui, a déjà décidé de monter à la ville pour devenir fonctionnaire, et avoir ainsi, en principe, une vie meilleure et sans accidents. Et puis il y a l’alcoolisme bien sûr, jeunes et seniors réunis à la moindre occasion, chez les uns ou chez les autres. Car, "chez ces gens-là, monsieur, on boit", ne serait-ce que pour oublier. Coïncidence plaisante, la maison des Van Acker abrita justement autrefois le café du village, fermé depuis longtemps comme tous les autres commerces. Pour se ravitailler, il faut faire quelques kilomètres. Quant à Bruxelles, pourtant à cent cinquante bornes au nord à peine, c’est une autre planète. Ici, c’est chez nous, là-bas, c’est chez les autres.
Le livre de Christine Van Acker offre de bien belles pages, pleines d’humour, de tendresse, avec cette façon de traiter sans gravité de choses graves, la mort, par exemple. Quitte à mourir, autant être enterré dans le petit cimetière du village, "à la maison". Oui, décidément, Pierre Autin-Grenier a eu une bonne idée. On espère que Christine Van Acker a plein d’autres carnets de moleskine.
J.-C. P