Le premier roman de l'écrivaine argentine trans Camila Sosa Villada, Les vilaines, paru en France en 2021, avait marqué les esprits pour la force de son style et son étonnant mélange des genres, entre réalisme cru et fable fantastique. Mais aussi parce que l'autrice déroulait son intrigue dans un univers très peu représenté en littérature : une communauté de prostituées transsexuelles. Abordant à la fois la sororité développée entre les filles et la violence qu'elles subissent dans leur métier et comme trans, le roman dévoilait ces parcours marginaux et marginalisés avec une rare intensité. En Argentine comme en France, les transsexuelles sont persécutées voire assassinées. « Il s'agit de témoigner pour les survivantes que nous sommes, et pas uniquement de créer. C'est le combat que je mène », déclare Camila Sosa Villada lorsqu'elle évoque ces violences dont elle-même a été victime.

Avant de se faire repérer par le milieu littéraire, Camila Sosa Villada menait une carrière d'actrice. Elle publiait régulièrement ses textes sur les réseaux sociaux et a refusé plusieurs propositions de publication avant d'accepter de montrer ses écrits - un recueil de poèmes (que l'on découvrira traduit en français d'ici un an), un essai, deux romans - à la maison d'édition où publient deux amis poètes. De passage à Paris pour la promotion de son nouveau livre, Histoire d'une domestication, Camila Sosa Villada est venue à la rencontre de ses lecteurs. « Mes lecteurs sont des lectrices, comme si certains hommes n'arrivaient pas à me comprendre, ou peut-être qu'ils ne sont tout simplement pas intéressés », suppose-t-elle. Sous ses lunettes de soleil aux montures épaisses et arrondies, son regard perçant se trouble parfois jusqu'à laisser s'échapper quelques larmes, notamment lorsqu'elle évoque le rapport à l'amour de la protagoniste de son nouveau roman, qui lui ressemble beaucoup. « Le ressenti amoureux est parfois extrêmement violent, insupportable. C'est comme se faire égorger, se faire vider de son sang. Et cela révèle les failles d'une personne », explique l'autrice.

Histoire d'une domestication est le portrait intime d'une comédienne transsexuelle célèbre en Argentine. Alors qu'elle travaille le rôle principal de La voix humaine de Cocteau pour une prochaine représentation, l'actrice raconte son parcours personnel et amoureux et les liens qui l'unissent à son mari - un avocat gay fou d'amour pour elle mais qui l'ennuie -, ainsi qu'à sa famille avec laquelle elle a renoué depuis l'adoption de son fils. Tentant de fuir ses obligations de fille, de femme, de mère, de sœur, elle échoue finalement à trahir les siens et à partir, à se libérer de ses chaînes. Elle se rattache à des normes qui ne lui correspondent pas et tombe dans une extrême détresse. Dans Les vilaines, il s'agissait d'éloigner l'expérience de la prostitution. Histoire d'une domestication relate plutôt la manière dont certains mécanismes continuent d'asservir malgré une émancipation supposée. L'écriture, dit-elle, se révèle alors comme un « avertissement, une lanterne pour ne pas se perdre ».

Camila Sosa Villada
Histoire d'une domestication
Métailié
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Laura Alcoba
Tirage: 10 500 ex.
Prix: 19 € ; 224 p.
ISBN: 9791022613859

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