En 1967, Jean Cabut, alias Cabu, a 29 ans. Il commence à être connu des amateurs de BD grâce à ses aventures du Grand Duduche, qui paraissent dans Pilote depuis 1963. Mais, dessinateur de presse, il travaille également pour d'autres journaux, comme Hara-Kiri, l'ancêtre de Charlie Hebdo. Ou encore, plus étonnamment, pour Le Nouveau Candide, un hebdomadaire de droite à sensation, avec ses unes volontiers racoleuses.
Justement, ce magazine décide, à partir du 24 avril 1967, et sur quatre numéros, de publier en avant-première les bonnes feuilles d'un livre destiné à faire grand bruit : La grande rafle du Vel d'Hiv, de Claude Lévy et Paul Tillard, deux anciens résistants communistes. L'un, médecin juif, dont les parents ont été exterminés à Auschwitz ; l'autre, romancier, déporté à Mauthausen. Tillard est mort fin 1966, peu avant la sortie de son livre. Les deux camarades avaient voulu rappeler la mémoire de la tragédie des 16 et 17 juillet 1942, quand la police parisienne, obtempérant à la demande des autorités allemandes qui avaient négocié avec le gouvernement de Vichy, avait recensé, traqué, arrêté et parqué dans le stade vélodrome de la capitale, dans le XVe arrondissement, des milliers de Juifs. Ils avaient été ensuite dirigés vers des centres de détention, puis envoyés dans les camps de concentration nazis. La rafle a fait près de 13 000 morts. Mais, le Vél' d'Hiv détruit depuis 1959, on préférait, en 1967, ne pas remuer ce genre de douloureux et honteux souvenir. Préfacé par Joseph Kessel, présenté par son éditeur, Robert Laffont, comme « la Saint-Barthélemy des Juifs de Paris », le livre était un pavé dans la mare. Il obtint un large succès et a fait date. C'est en partie grâce à cela, que bien plus tard, en 1995, le président Chirac a reconnu la responsabilité de l'État français dans ce drame.
Cabu, bouleversé par son sujet, avait exécuté quinze dessins « coups de poing dans la gueule », comme il disait, en se situant parmi les victimes, à leurs côtés, suivant étape par étape leur calvaire, depuis leur arrestation dans la rue ou à leur domicile, jusqu'au camp de Pithiviers, où étaient parquées les femmes, en attendant leur départ pour Auschwitz. Et il n'oubliera jamais. En avril 1971, il reprendra dans Charlie Hebdo trois de ses dessins, avec des croquis inspirés du documentaire Le chagrin et la pitié, de Marcel Ophuls, et une charge satirique contre le chanteur Philippe Clay et sa chanson réactionnaire Mes universités.
Pour l'artiste, son travail devait porter témoignage, en absolue liberté, et aider à lutter contre toutes les oppressions. On connaît la suite : Jean Cabut a été assassiné le 7 janvier 2015, à Charlie Hebdo, par des terroristes islamistes, avec sept de ses collègues et quatre autres victimes. « Ses dessins sont là pour l'histoire », écrit son épouse Véronique. Ils seront exposés au Mémorial de la Shoah, à l'occasion des quatre-vingts ans de la rafle du Vél' d'Hiv, du 30 juin au 8 novembre 2022.
La rafle du Vel d'Hiv Dessins présentés par Laurent Joly
Tallandier
Tirage: 16 000 ex.
Prix: 18 € ; 56 p.
ISBN: 9791021053984