Roman/Royaume-Uni 2 mai William Boyd

Il faut parfois savoir quitter Edimbourg. Pour le jeune Brodie Moncur, il fallut d'abord y arriver et être ainsi le seul des enfants de la famille à échapper à l'influence néfaste de leur père, odieux révérend prédicateur et tyran domestique, exerçant son pouvoir à quelques milles de la grande ville. En cette année 1894, Brodie y parvient grâce à son caractère affirmé et surtout grâce à un don qu'il cultivera sa vie durant à bon escient : il a l'oreille absolue. Le voilà engagé à Edimbourg donc, comme accordeur de pianos pour la Maison Channon ; et ses talents, y compris commerciaux, lui valent la proposition, de partir pour Paris afin d'essayer de « redresser » la succursale française de la vénérable et un rien désuète entreprise. Rien ne le retient en Ecosse, ni la famille donc, ni une fille de joie qui lui en procure pourtant pas mal. Il accepte avec enthousiasme.

Dans la capitale française, où bientôt les pianos écossais se taillent une réputation croissante, il noue une relation d'affaires (que l'on qualifierait aujourd'hui de contrat de sponsoring) avec le virtuose John Kilbarron surnommé le « Liszt irlandais ». Fasciné par ses talents, Kilbarron, « managé » par son frère, l'étrange et volontiers pervers Malachi, le convainc de l'accompagner désormais pour toutes ses tournées, chacun de ses concerts. Une proposition que l'humble et assez séduisant jeune homme accepte, d'autant plus qu'il est tombé fou amoureux de la maîtresse de Kilbarron, la soprano russe Lika. Plus dure sera la chute, plus nombreux les voyages. Saint-Pétersbourg, Genève, Trieste, Vienne, c'est « l'Europe aux anciens parapets » que traverse, traqué, fou d'amour, égaré, le petit accordeur de pianos écossais. Avant que son destin ne se noue vers « des archipels sidéraux et des îles dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur » (Rimbaud encore), les îles Andaman, au large des côtes indiennes.

Pourquoi faut-il tant aimer William Boyd et singulièrement ce quinzième roman, L'amour est aveugle (notons le sous-titre durassien, Le ravissement de Brodie Moncur) ? Peut-être parce que ce type démontre, livre après livre, qu'il est romancier comme on ne sait plus l'être. Foin de lourdeur ou de tragique (l'Histoire, la grande, s'en charge), avec lui, avec nous, c'est autre chose. Toujours ses personnages parviennent à être des personnes. Ce n'est pas une (ou qu'une) question de savoir-faire, mais plutôt de profonde empathie, d'absence totale de cynisme vis-à-vis du récit. Il n'y a ici ni consolation ni leçon. Ce n'est pas le lieu du roman. Si l'amour est aveugle, il faudrait l'être aussi pour ne pas, en ce cas, s'en réjouir. 

William Boyd
L’amour est aveugle : le ravissement de Brodie Monc - Traduit de l’anglais par Isabelle Perrin
Seuil
Tirage: 25 000 ex.
Prix: 22 euros ; 496 p.
ISBN: 9782021408096

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