Aujourd’hui, la province de Moravie fait partie de la République tchèque. Mais quand y vivait, à la fin des années 1930, Magdalena, l’une des trois héroïnes narratrices de la saga familiale de Lenka Hornakova-Civade, le pays s’appelait encore la Tchécoslovaquie. Une deuxième guerre mondiale plus tard, après la victoire du Parti communiste aux élections de 1946, la jeune Morave est fille de ferme, employée dans "la plus belle famille du coin", propriétaire d’une biscuiterie dans un village rural tout près de la frontière autrichienne. C’est le début de la réforme agraire, de la collectivisation des terres. Magdalena, née à Vienne que sa mère a quittée en 1938, après avoir été abandonnée par un gynécologue juif qui a fui les nazis, est une fille sans père. Comme sa fille Libuse qu’elle met au monde en 1948, comme sa petite-fille Eva qui naîtra vingt et un ans plus tard. Des "bâtardes" aux yeux de la communauté. Mais sous la plume souple de la romancière, ces femmes sont en réalité des guerrières insoumises qui n’ont pas seulement hérité de "la faute", mais d’un instinct de survie à l’épreuve des balles de l’Histoire. Une liberté d’être qu’incarne particulièrement la première de la lignée, la mère de Magdalena, née en 1904, une rude matriarche dure au mal, sage-femme expérimentée qui va armer ses descendantes de leçons sur le refus de la honte et de la pitié.
Lenka Hornakova-Civade embrasse à travers ces trajectoires singulières l’histoire contemporaine de cette Europe centrale où elle est née en 1971, membre de la même génération que la plus jeune des héroïnes de Giboulées de soleil, celle qui a eu 20 ans quand le Mur est tombé. Mais, comme Libuse qui rêvait de Paris, l’écrivaine a choisi il y a vingt-cinq ans la France - et le français - dans laquelle elle a écrit ce premier roman alerte. V. R.