Parmi les thématiques abordées lors des 8ᵉˢ rencontres professionnelles de la Foire du livre de Brive, deux tables rondes sur l’intelligence artificielle ont été organisées grâce à un partenariat entre la Foire et le Centre national du livre (CNL). Elles se sont penchées sur l’impact de l’IA sur la chaîne du livre et sur ses enjeux juridiques de ce bouleversement. Elles étaient animées par notre collaboratrice Pauline Gabinari, coordinatrice du dossier consacré à ce sujet dans notre numéro de novembre.

Parmi les intervenants, notons la présence de Muriel Beyer, directrice des éditions de l’Observatoire. Citant les mots du philosophe Raphaël Enthoven : « L’intelligence artificielle est comme une oie que l’on gave », elle a estimé qu’il existe une littérature de création que l’intelligence artificielle est bien incapable de concurrencer. « Un traducteur, par exemple, est un écrivain. Alors qu’une IA, même si elle va plus vite, n’est capable d’accoucher que d’un texte parfaitement plat. »

Alors que Frédéric Maupomé, président d’honneur de la Ligue des auteurs professionnels, se montrait plus inquiet, citant l’exemple d’un traducteur auquel on a proposé de réaliser deux traductions pour le prix d’une en s’aidant de l’IA. Tout en lui accordant le bénéfice des droits d’auteur, alors que, dans ce cas, juridiquement, il aurait en principe dû être considéré comme un correcteur et non comme un auteur. Pour lui, la question n’est pas seulement une question de qualité. « Le risque, c'est que les auteurs, traducteurs, illustrateur soient noyés sous la masse des contenus produit par des IA et que les éditeurs n’investissent plus sur eux alors qu’il faut plusieurs livres pour qu’un auteur se développe et devienne un investissement rentable. »

Nicolas Poret s’inquiétait, lui, de tous les petits métiers de l’édition de la librairie que l’IA remet en cause : « La question de la pérennité de nos emplois est posée. » Et notait : « J’ai commandé un exemplaire d’une BD créée par une IA, c’est joli, mais c’est clairement du plagiat de plein de choses que j’ai déjà lue. C’est aussi la responsabilité des libraires de ne pas encourager ça. » Alors que c’est aux clients de comprendre que la recommandation algorithmique ne leur permet pas de faire des découvertes inattendues, comme ce que peut lui conseiller un libraire « qui fait un travail de cœur ».

L’IA, le monde et la France

Au cours d’une seconde table ronde, Nathalie Chambaz, responsable juridique du Conseil permanent des écrivains (CPE) et de la Société des gens de lettres (SGDL), s’inquiétait de la position de la France dans les négociations européennes : une position ultra-technophile, voyant dans l’IA une opportunité pour son industrie high-tech. Ceci alors que des pays comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne « nous font la leçon et que même la Chine insiste sur l’importance de la transparence ». Renaud Lefebvre, directeur général du Syndicat national de l’édition (SNE), rappelait l’unanimité des 74 organisations de professionnels de la création qui ont interpellé la Première ministre début octobre dans Le Monde et attendent depuis sa réponse. « La France n’a aucun intérêt à faire la même chose que tout le monde après tout le monde. Et les promoteurs de l’IA doivent obtenir l’accord des producteurs des contenus qu’ils utilisent pour entraîner et faire fonctionner leurs machines », rappelle-t-il, insistant sur le fait que la Fédération des éditeurs européens est unanime sur ce point.

Jean-Philippe Mochon, conseiller d’État et médiateur du livre, a reconnu que la position française n’était pas encore très lisible, « notre pays se situant dans le groupe le plus technophile au niveau des négociations européennes avec l’Allemagne et l’Italie ». Le gouvernement a d’ailleurs chargé l’économiste Philippe Aghion d’une mission de six mois sur le sujet et s’est adjoint les services de la juriste Alexandra Bensamoun.