Il fallait s'y attendre. Après une vingtaine d'années de livres de philosophie pure (ou plutôt impure, ce qui en faisait d'ailleurs tout leur prix), dont jamais par ailleurs la littérature n'était vraiment absente, le philosophe biarrot - sans doute, considérerait-il cette étiquette comme un oxymore - Frédéric Schiffter avait levé un coin du voile sur son intimité en publiant en 2016 un récit autobiographique, On ne meurt pas de chagrin (Flammarion). Il paraît donc presque logique, tant la fiction n'est jamais qu'un déplacement du réel, qu'il en vienne aujourd'hui avec un égal succès, au roman.

Deux époques, deux vies, un homme et une femme qui vont sans le savoir avoir la patience nécessaire pour se rencontrer et s'aimer. D'abord d'Alice, elle n'a que dix-sept ans en 1974 lorsque cette jeune fille de la bonne bourgeoisie basque rencontre Don, venu surfer en pays Basque. La romance est immédiate, les deux jeunes gens se marient vite et Don enlève sa jeune épouse pour lui faire vivre à Hawaï, puis à Santa Barbara, l'âge d'or du surf et de la vie qui va avec. Mais bientôt tout se dérègle, la poésie de la vague devient une industrie et les deux amoureux s'éloignent chaque jour un peu plus. Ils finiront par revenir en Pays Basque, mais comme on ramène un mort pour l'enterrer dans sa terre natale.

Et puis il y a aujourd'hui Boris Brissac. Avocat pénaliste à Paris, qui ne croit plus en grand-chose si ce n'est dans les fondamentaux de son métier, défendre tout le monde, sans exception morale. Ainsi, défenseur d'un néofasciste meurtrier d'un jeune « antifa », qui en prison, dérivant d'une rive à l'autre jusqu'à l'islamisme, se fait un jour violemment agresser. Cela va contribuer à lui donner un sens à sa vie et lui faire comprendre peut-être mieux combien l'amour, celui qu'il porte à Alice, l'amour pérenne, est la seule aventure qui vaille.

Pour Frédéric Schiffter, sans aucun doute, il y a aussi la littérature ; au fond, le seul dandysme qui vaille. Son livre est d'un classicisme qui est la seule élégance. C'est celui de tous ceux qui n'en peuvent plus. Sauf de s'aimer.