Vous avez effectué une tournée européenne pour Les éclats, et pas aux États-Unis. Est-ce parce que vous préférez rencontrer un public moins susceptible sur les questions sociétales ?
En Amérique, les événements en librairie ou les tournées dédicaces ne servent à rien, ça ne fait pas vendre, c’est une vraie perte de temps. Mon podcast me permet de m’exprimer sur un tas de sujets, c’est là que le public peut me rencontrer. Chaque fois que j’ai donné un entretien dans une émission de grande écoute ou à un média mainstream, il s’est retrouvé coupé de manière biaisée, remonté hors contexte, projetant une image négative pour faire scandale. Et de l’audimat, donc de l’argent. Plus personne aux États-Unis ne croit aux médias mainstream. Avec le podcast, c’est souvent live et on est totalement libre. Ceci étant, je ne crois pas à l’insulte, au discours de haine, même si mes opinions ont pu être considérées comme tels. J’ai mes fans et ceux qui seront toujours choqués par ce que je dis ou j’écris. Je me fiche bien de ce que pensent les gens, même si certains s’imaginent que je fais les choses par provocation. J’écris ce que j’ai à écrire.
Cette nécessité intérieure se ressent particulièrement dans votre nouveau roman. Retour à Los Angeles, aux années de votre première fiction Moins que zéro – jeunesse dorée, sexe, drogue, pool parties, musique… C’est de la nostalgie ?
Complètement ! Et quel bonheur que de ressentir cette nostalgie, de plonger dans ce passé, d’écrire dessus. Je n’aurais jamais songé qu’à 56, 57 ans cela m’aurait fait autant plaisir d’écrire sur mes 17 ans : mes rêves à 17 ans, mon corps à 17 ans… le corps de ces filles et de ces garçons, tous aussi sexy les uns que les autres. J’ai adoré me remémorer le fait que nous étions tous obsédés par le sexe, j’ai repensé à cette année de lycée, mais aussi à tout ce qui a foiré. Cet âge-là a été l’âge du mensonge. La photo de l’almanach de mon école l’illustre parfaitement : mon sourire, ma pose, tout est faux. Je n’étais pas heureux, mais je prétendais être ce gars lisse en veston qui sourit à l’appareil. Les éclats, c’est à la fois moi à l’époque faisant semblant et moi aujourd’hui conscient du tumulte intérieur d’alors et le redéployant à travers une fiction toute teintée de nostalgie.
Par-delà l’intrigue policière avec le trope du serial killer qui rôde, votre roman raconte une Amérique blanche insouciante, fortement imbue de préjugés, notamment homophobes…
On cachait son homosexualité en 1981 à la Buckley School. Je voulais reparler ouvertement de ce que j’avais évoqué de façon masquée dans Moins que zéro. Comme dans Les éclats, le père de ma copine était gay, moi je l’étais aussi mais je ne le disais pas. L’un des personnages gay qui joue l’hétéro viril et sportif a existé, un autre, un surfeur sexuellement ambigu dans le livre, m’a contacté après l’avoir lu – lui s’est marié avec une femme, puis a divorcé et je ne pense pas qu’il soit gay… J’ai mélangé faits et fiction. Oui il s’agit en quelque sorte du livre du coming-out (quoique je n’aie jamais réprimé mon orientation sexuelle), mais vous savez, c’était aussi une époque très excitante, le côté illicite rendait la chose encore plus érotique, on s’entendait de manière codée, on était comme des agents secrets.
J’ai toujours su que j’étais gay, dès l’âge de 7, 8 ans, mais l’année de mes 17 ans, ça m’a posé un problème. Mon ami Bruce qui était hétéro pouvait sortir avec 99% des filles et moi avec 3% des garçons. Sauf que ceux qui me plaisaient étaient straight et ne faisaient pas partie du reliquat disponible. C’était injuste. L’adolescence a correspondu à une prise de conscience douloureuse : il fallait que je me débrouille avec les cartes que la vie m’avait distribuées. Comme Patrick Bateman d’American psycho qui veut se fondre dans la foule, je voulais faire partie du groupe : j’ai perdu du poids, je me suis musclé, je suis devenu le gars le plus populaire du bahut, et je suis sorti avec une fille. Mais un jour la vérité a éclaté, quelqu’un a révélé ma liaison avec un garçon – Ryan dans le livre – qui l’a démenti et qui ne m’a plus jamais adressé la parole… Les éclats interroge ma psychologie de l’époque, écrire cette histoire a aussi été une façon de combler ce silence, les choses tues.
Quand l’idée des Éclats a-t-elle germé ?
J’ai écrit Les éclats en même temps que Moins que zéro, mais je ne suis jamais allé au-delà des trois ou quatre pages. Je n’étais pas assez mûr, j’avais tant de choses à dire mais je n’avais pas les moyens pour le faire. Écrire Moins que zéro, 200 pages, phrases courtes, style clinique… ce n’était pas trop difficile. Mais Les éclats était un projet trop ambitieux, trop complexe pour un type de 18 ans.
Ne s’agit-il pas en fait d’un livre sur l’identité, l’identité morcelée, en autant de bris de miroir, d’éclats qui donnent le titre à votre roman ?
Belle image, je la réutiliserai dans ma prochaine interview (rires). Non, je n’y avais pas pensé, le titre The shards [Les éclats] m’est venu tout de suite, ça sonnait bien, comme un roman de Stephen King, dont j’étais fan.