Livres Hebdo - Quels sont les principaux facteurs de changement du métier de bibliothécaire ?
Bertrand Calenge - Parlons d’abord de ce qui demeure. Le cœur de métier reste la gestion et la médiation de collections, qu’elles soient numériques ou papier. Ce qui a changé, en revanche, ce sont les modalités d’approvisionnement des contenus qui sont devenues plus complexes et multiformes, et les modalités de restitution de ces contenus auprès du public. Les bibliothécaires deviennent des veilleurs, des "curateurs", voire eux-mêmes des producteurs de contenus. Cela nécessite aussi des compétences technologiques pour manipuler les logiciels de gestion de contenus.
Le public constitue une autre constante, bien sûr, mais ses attentes ont elles aussi beaucoup changé. Il attend d’abord un lieu confortable et accueillant, et cette demande s’est d’ailleurs paradoxalement accrue malgré l’essor du numérique, des services personnalisés. La bibliothèque ne peut plus se contenter de mettre passivement à disposition un stock de documents. Elle doit créer l’événement et transformer la visite de l’usager en une expérience séduisante et stimulante qu’il aura envie de renouveler. Pour les professionnels, cela met en œuvre des compétences d’animation, de médiation, voire de formation. Plus que jamais, l’action du bibliothécaire s’inscrit dans les politiques publiques. Les personnels de direction, en particulier, doivent acquérir des compétences en communication. Les compétences juridiques deviennent également de plus en plus nécessaires.
Comment les formations doivent-elles évoluer pour répondre à ces nouvelles réalités ?
Les outils et les contextes étant en perpétuelle évolution, il est préférable aujourd’hui d’enseigner des méthodes et des démarches de travail plutôt que des techniques. Dans la formation de conservateur de l’Enssib, par exemple, on n’enseigne plus la bibliographie mais la méthodologie de recherche de l’information ; on a remplacé le catalogage par des sessions consacrées aux structures de métadonnées et à la construction d’une bibliothèque numérique. Les formations doivent aussi être plus centrées sur l’opérationnel. Les heures de cours des élèves conservateurs de l’Enssib sont passées de 700 il y a quatre ans à 500 pour laisser plus de place au travail sur projet.
Où placer le curseur entre bibliothécaires avec de nouvelles compétences et nouveaux profils ?
Tout dépend de la taille de l’équipe et de l’établissement, des objectifs que l’on se fixe et des moyens dont on dispose. Je suis très favorable à l’ouverture des équipes à de nouveaux métiers. D’abord parce que cela permet aux bibliothécaires de se recentrer sur leur cœur de métier, qui s’est considérablement complexifié, comme on l’a vu, conduisant à une certaine spécialisation, au moins dans les grands établissements. Et puis, scénographe, commissaire d’exposition, webmaster, ce sont des professions à part entière. A Lyon, 38 % des agents ne sont pas bibliothécaires. Par exemple, la bibliothèque de la Part-Dieu reçoit à elle seule un million de visiteurs par an : cela paraît évident qu’on a besoin d’autres métiers que celui de bibliothécaire pour gérer un tel microcosme. L’ouverture à de nouveaux métiers conduit aussi à raisonner avec des approches différentes de celles des bibliothécaires, et c’est très constructif.
Quel sera le métier dans quelques années ?
Si vous m’aviez interrogé il y a vingt ans, pas sûr que j’aurais été capable de décrire ce qu’est le métier aujourd’hui ! Sans verser dans la futurologie, je suis convaincu que le métier de bibliothécaire va continuer à exister à la condition expresse que les bibliothécaires contribuent à accroître la connaissance mise à la disposition des collectivités qu’ils desservent, comme c’est déjà le cas. Je suis confiant, car les professionnels ont désormais absorbé le choc du numérique et ils se sont engagés avec beaucoup d’énergie dans les missions qui sont les leurs aujourd’hui.