Historienne d’origine irlandaise, installée depuis longtemps dans le Luberon, parfaitement francophone bien qu’elle écrive dans sa langue maternelle, Bernadette Murphy, pour son premier livre, s’est lancé un sacré défi, que seule une compatriote de la redoutable Miss Marple était en mesure de relever. Se passionnant pour le séjour arlésien du peintre Vincent Van Gogh (1853-1890), en 1888-1889, elle l’a reconstitué minutieusement, jusque dans les moindres détails de son contexte : géographie de la ville, puisque le quartier où vécut "Monsieur Vincent", autour de la place Lamartine, a été détruit durant la dernière guerre, vies des personnages de l’époque, qui ont peu ou prou gravité autour de l’artiste.
Ce grand Hollandais roux bizarre, un peu fou au début, dément à la fin, qui s’était installé en septembre 1888 chez lui, dans la fameuse maison jaune dont il rêvait de faire une thébaïde d’artistes, un nouveau Pont-Aven. Seul Paul Gauguin, son aîné de cinq ans, qu’il connaissait à peine mais admirait, a accepté de tenter l’aventure, venant passer quelques mois fin 1888. Mais il ne supportera pas longtemps son terrible logeur. C’est Théo Van Gogh, le frère très aimant, marchand d’art à Paris, qui nourrira toujours Vincent, le pensionnant, ainsi que Gauguin, tout aussi impécunieux.
Grâce à ses recherches, Bernadette Murphy éclaire pas mal de points demeurés mystérieux. Par exemple, elle remet à sa juste place la "pétition des Arlésiens" contre Van Gogh, exigeant du maire son départ, au début de 1889 : juste une trentaine de signataires, téléguidés par deux aigrefins pour cause de spéculation immobilière !
Mais le morceau de bravoure de la détective amatrice concerne l’affaire de l’oreille (gauche) de Vincent, qu’il s’est coupée dans une bouffée délirante (épilepsie, syphilis, les deux ?) dans la nuit du dimanche 23 décembre 1888, et qu’il est ensuite allé porter, sanglante offrande, à une jeune Rachel, prétendue prostituée dans une maison de tolérance toute proche, où il avait ses habitudes. Bernadette Murphy a identifié la pseudo-Rachel, retrouvé ses descendants. Elle s’appelait en fait Gaby, domestique au bordel et non pensionnaire : trop jeune, elle avait 19 ans. Elle démontre aussi que Van Gogh s’est bien coupé toute l’oreille et non simplement une partie du lobe.
C’est très personnel, enlevé, éclairant, notamment grâce aux tableaux et documents reproduits, bien mis en situation et subtilement commentés. On espère que Mrs. Murphy n’en restera pas là. L’histoire de l’art fourmille d’autres énigmes jamais élucidées : la Joconde, par exemple. J.-C. P.