C’est un volume couvert de toile bleue. Adolescent encore, Benoît Heimermann le déniche dans la bibliothèque d’un ami allemand de son père. En ces années 1970 naissantes, l’Allemagne pour ce jeune Alsacien tend à être une fascination ("c’était le pays où tout marchait, tout était moderne. Où les footballeurs gagnaient…"). Le livre un peu défraîchi qu’il feuillette alors s’intitule Olympia 36. Il rend compte des JO d’hiver de Garmisch-Partenkirchen et annonce avec force svastikas et oriflammes ceux d’été à Berlin. Benoît Heimermann reviendra chez l’ami de son père, il n’y retrouvera jamais Olympia 36… Qu’importe, ce volume est bien sûr à l’origine de ces Champions d’Hitler qu’il publie aujourd’hui et au-delà, de sa compréhension profonde qu’il n’y a pas d’écriture autour du sport qui ne puisse faire l’économie d’une réflexion sur le contexte politique qui l’entoure. Si Les champions d’Hitler est aussi fascinant, c’est par l’exégèse qu’il fait de ses liaisons dangereuses entre sport et idéologie. Heimermann égrène chapitre après chapitre les grandes figures sportives nazies et se sert comme "fil rouge" de celle, méconnue, du responsable des sports du régime, le "Reichssportführer" Hans Von Tschammer und Osten). "Pourtant, dit-il, les nazis initialement, ne se sont pas intéressés au sport. Il a fallu que Goebbels, le plus lucide d’entre eux, comprenne que ce pouvait aussi être un outil idéologique. Et dans le même temps, malgré les moyens colossaux mis en œuvre, ils ont finalement échoué dans chacune de leurs grandes entreprises sportives. L’histoire de ces échecs est fascinante."
Benoît Heimermann a sans doute toujours su qu’il se tiendrait à une égale distance du sport et de la littérature, du sport et de son écriture. Il est encore élève en classe de quatrième lorsque ce lecteur de Bob Morane et de Jules Verne écrit à L’Equipe pour lui proposer ses services. En 1977, "monté" à Paris, il intègre la rédaction du Miroir des sports. Qu’il quitte bien vite pour rejoindre celle du Matin de Paris qui connaît alors son âge d’or. Là, François-Henri de Virieu, Hervé Chabalier puis Maurice Szafran s’efforcent de "décloisonner" les services. "C’était une période magnifique. Journaliste sportif, on m’envoyait au Festival de Cannes. Bernard Frank m’accompagnait à Roland-Garros et Jean-loup Sieff prenait les photos. J’étais très ami avec Serge Daney. On allait ensemble voir des rencontres de coupe Davis, et un jour, à Moscou, on en a profité pour rendre une visite impromptue à Andreï Sakharov ! Le champ des possibles était largement ouvert." Surtout, il noue à cette époque une amitié profonde avec son voisin de bureau, Jean-Paul Kauffmann, qui l’a, selon lui, initié à la littérature. Et ce sera la découverte de Guérin, Calet, Bove ou Hyvernaud, et de celui qu’il considère encore comme le plus grand de tous, Perec. Bref, l’expérience a été profitable et Benoît Heimermann, dont les maîtres en matière de journalisme sportif furent les grands stylistes qu’étaient Pierre Chany ou Olivier Merlin, saura la mettre à profit dans les journaux auxquels il collaborera par la suite : Le Sport, trop fugace, Challenges, Rolling Stone et L’Equipe magazine.
Pour rester gamin.
En parallèle, notre émule de Tristan Bernard a mené un joli bonhomme de chemin dans l’édition. "Mon obsession était de rencontrer les héros de ma jeunesse. Et je l’ai fait. J’ai rencontré et pu éditer les Cousteau, Aldrin, Chuck Yeager, Messner ou Thor Heyerdahl. Ce métier est merveilleux. On y reste des gamins." Ce sera d’abord pour les éditions Ouest-France, puis avec Françoise Verny pour une biographie de l’aventurière Titaÿna (Flammarion, 1994), sœur d’Alfred Sauvy. Le livre sera un échec commercial (soldé par un cinglante réflexion de l’éditrice : "une inconnue par un inconnu, c’était pas gagné") mais annoncera des succès futurs, L’Aéropostale (Arthaud, 1994) ou Tabarly (Grasset, 2002). Chez Grasset justement, Olivier Nora et Manuel Carcassonne lui proposent de monter une collection, qui ne se présente pas comme telle, de littérature dite sportive. Ce seront, entre autres titres, les livres d’Isabelle Autissier ou de Philippe Brunel. Aujourd’hui, Benoît Heimermann a suivi Manuel Carcassonne chez Stock, pour y poursuivre l’œuvre entreprise et publier bientôt l’enquête de Vincent Duluc sur George Best ou le premier roman du créateur de Desports et de Feuilleton, Adrien Bosc. Bref, ce type n’écoute que son bon plaisir qui a des tas de choses à lui raconter. Olivier MonyLes champions d’Hitler, Benoît Heimermann, Stock, 18,50 euros, 230 p., ISBN : 978-2-234-07625-9. Sortie : 14 mai.