élysée 2017

Benoît Hamon : la culture comme objet social et éducatif

Benoît Hamon - Photo OLIVIER DION

Benoît Hamon : la culture comme objet social et éducatif

Le vainqueur de la primaire socialiste est le premier des cinq principaux candidats à l’élection présidentielle à répondre à l’invitation commune de Livres Hebdo, Le Film français et Le Journal des arts à préciser ses orientations culturelles. Considérant le droit d’auteur comme sacré et voulant préserver le prix unique du livre, il voit la culture comme un champ à démocratiser.

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Par Anne-Laure Walter,
Créé le 10.03.2017 à 00h34 ,
Mis à jour le 13.03.2017 à 10h23

Alors que la culture n’occupe qu’une place marginale dans la drôle de campagne présidentielle 2017, Livres Hebdo, Le Film français et Le Journal des arts ont proposé aux cinq principaux candidats à l’élection présidentielle d’expliquer leur projet culturel. Premier à relever le gant, Benoît Hamon a été reçu à déjeuner lundi 28 janvier au restaurant Maison blanche, à Paris (le clin d’œil n’est pas fortuit), par les trois journaux professionnels de la culture. Le candidat du PS avait fait de ce sujet sa "carte blanche" dans le débat d’entre deux tours de la primaire citoyenne de la Gauche, évoquant son soutien à "l’entrepreneuriat culturel" et "la question des droits d’auteur" à l’heure du numérique. Dans son programme, la culture s’insère dans une réflexion plus vaste sur une "République bienveillante et humaniste". Benoît Hamon l’envisage à travers sa démocratisation, comme un objet du champ social et éducatif. Devant la presse professionnelle, il développe une pensée qui fait la part belle aux producteurs de culture (artistes et auteurs) et aux consommateurs (lecteurs), mais n’évoque guère les industries culturelles.

Entretien réalisé en partenariat entre "Livres Hebdo", "Le Film français" et "Le Journal des arts"

S’il va peu au cinéma - le dernier film qu’il ait vu est le dessin animé Vaiana, avec ses filles - ou aux expositions, à l’exception de celle de la Fondation Vuitton ("Icônes de l’art moderne, la collection Chtchoukine", NDLR) puisque, sa femme travaille chez LVMH mais qu’il a visité l’exposition "avec le public je le précise", Benoît Hamon est un lecteur. Il puise ses idées dans les essais et documents, qu’il reçoit en service de presse ou qu’il achète à la librairie Chantelivre d’Issy-les-Moulineaux, qu’il fréquente assidûment avec ses enfants. Mais depuis un an, la campagne ne lui laisse que peu de temps pour ses pratiques culturelles. "Selon ma femme, les livres que je lis me servent de doudous, puisque je m’endors au bout de dix pages !" Le candidat lit de tout, "à l’exception des livres politiques : ni les livres-programmes, ni les biographies, ni les autobiographies, ça ne m’intéresse absolument pas". Dernièrement, il a été marqué par Le mirage numérique : pour une politique des big data d’Evgeny Morozov, aux Prairies ordinaires, "un ouvrage assez radical qui expose les enjeux démocratiques de la révolution numérique". Il cite également Pierre-Yves Gomez, l’auteur de l’Intelligence du travail (Desclée de Brouwer) ainsi que son "auteur fétiche", le sinologue François Jullien et sa réflexion sur "la transition mais avec une approche orientale". Il s’autorise aussi la lecture de romans, citant la jeune Clermontoise Cécile Coulon, éditée chez Viviane Hamy, ou Céline Minard dont il a lu tous les romans parus chez Denoël et Rivages.

"Fabriques de culture"

Dans son projet politique, la culture joue un rôle au niveau de l’anticipation de la transformation du travail et donc de la nouvelle articulation des temps de la vie. "La transformation du travail s’accompagne d’une raréfaction de ce dernier, souligne-t-il. L’étude la plus optimiste, celle de l’OCDE, dit 10 % d’emplois en moins ; la plus pessimiste, menée par l’université d’Oxford, évoque 42 % des emplois concernés. La révolution numérique nous offre une opportunité incroyable de produire tout ce qu’on veut avec moins de travail humain et donc de libérer du temps. Je veux renouer avec l’idée d’une société du temps libéré, dans laquelle on construit les opportunités, les lieux, les politiques qui permettent une véritable démocratisation culturelle. Ce temps libéré peut être un temps d’accomplissement, d’émancipation, notamment par l’accès à la culture sous toutes ses formes." C’est pourquoi il prône, parmi ses propositions, l’instauration d’un programme "Arts pour tous à l’école", développé par l’Etat en partenariat avec les collectivités locales, permettant de faire de l’éducation artistique et culturelle une priorité des pouvoirs publics.

"Nous avons raté le rendez-vous de la démocratisation culturelle, observe Benoît Hamon. Nous devons mieux reconnaître la pluralité de la culture dans les territoires, accompagner les enfants le plus tôt possible dans les trajectoires qui leur permettent de côtoyer la création et les artistes. Car la culture reste une arme contre le fascisme, sous toutes ses formes, le racisme, l’antisémitisme, et aujourd’hui nous avons baissé la garde." Le candidat ambitionne de créer des lieux artistiques pluridisciplinaires, des "Fabriques de culture", avec une gestion partagée et participative, pour irriguer tous les territoires. Des endroits qui ne sont pas sans rappeler les vénérables Maisons des jeunes et de la culture (MJC). "Il faudrait des brigades d’intervention culturelle dans les quartiers, m’a soufflé Papy Degois, à l’initiative du théâtre d’intervention à Trappes. L’idée est d’avoir des lieux d’éducation populaire pour créer et véhiculer la culture." Les médiathèques ne pourraient-elles pas jouer ce rôle ? "Malheureusement, vous avez une médiathèque pour combien de territoires ? Il en faut plus mais aussi favoriser des lieux intermédiaires, pour des publics qui n’osent pas entrer dans une bibliothèque ou un musée, des lieux de création et de diffusion", estime-t-il.

Pour mettre en place ces orientations, Benoît Hamon envisage de porter le budget consacré au développement et à la diffusion de l’art et de la culture à 1 % du PIB. "La totalité des concours publics consacrés aux politiques culturelles se chiffre à 17 milliards d’euros. Je souhaite les porter à 21 milliards d’euros, soit 1 % du PIB, ce qui représente une augmentation de 4 milliards d’euros sur le quinquennat. Une hausse similaire à celle que j’appelle pour le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche." Pour lui, les dossiers éducation et culture sont liés. La réforme des temps scolaires ayant libéré du temps pour une offre d’activités périscolaires, il prévoit l’inscription des enfants, dès l’entrée en CP, dans une médiathèque. En matière de grands projets, il évoque la fondation en province d’un "Palais de la langue française", pour renforcer l’apprentissage de notre langue et projeter la culture française dans le monde entier.

Interrogé sur les "Gafan" (Google, Apple, Facebook, Amazon, Netflix), ces géants du Web qui diffusent la culture selon leur propre loi, il évoque, dans la ligne de la "taxe YouTube" votée en décembre sur les revenus des sites mettant à disposition des vidéos sur Internet, des "moyens techniques et juridiques adéquats pour une juste rémunération des artistes". Il souhaite une équité fiscale entre les plateformes gratuites et payantes ainsi qu’entre les acteurs nationaux et étrangers, mais le recouvrement des taxes auprès d’acteurs étrangers semble peu aisé. "Je suis pour une VIe République avec de nouvelles règles du jeu, en France et à l’échelle européenne, qui instaurent la mise en œuvre d’une législation qui permettra le prélèvement de ce qui est dû par ces Gafan, qui exploitent les richesses sur nos territoires."

 

"Statut de l’artiste"

Dans son équipe, Benoît Hamon compte Aurélie Filippetti, ancienne ministre de la Culture qui a beaucoup œuvré pour les auteurs et la défense de leurs droits, ainsi qu’Axelle Lemaire, ex-secrétaire d’Etat chargée du Numérique, qui, au sein de la loi Lemaire, a défendu à l’inverse un certain nombre d’exceptions au droit d’auteur afin de permettre la fouille des données et la circulation des écrits scientifiques. Doit-il jouer les équilibristes entre ces deux positionnements ? "Je suis favorable à ce qu’on puisse avoir autant d’opportunités que possible pour accéder à n’importe quelle création mais il y a un principe fondamental : la rémunération du droit d’auteur, insiste le candidat. Quel que soit le tuyau, la plateforme, il doit être garanti. Il ne peut y avoir d’exception à la rémunération du droit d’auteur autre que la volonté de l’auteur, lui-même, de décider de la gratuité de son travail."

D’ailleurs la création d’un "statut de l’artiste" figure parmi ses propositions. "Il faut penser un statut qui permette une juste protection des artistes, quand ils ne sont pas éligibles au régime de l’intermittence, avec une enveloppe qui couvre plus largement ceux, auteurs, musiciens, comédiens, qui font le choix d’abandonner une autre activité pour se consacrer à la création.

Le candidat ne cite aucun axe de travail concret en matière de lecture publique, d’aide à la librairie ou de soutien aux manifestations littéraires. Mais son conseiller, Patrick Bloche, assure que des propositions sur le livre seront affinées au moment du salon Livre Paris. Benoît Hamon s’y rendra… pour y signer son livre, Pour la génération qui vient, qui paraît ce vendredi 10 mars aux Equateurs. En effet, s’il ne lit jamais de livre politique, il rétorque qu’il "n’interdi[t] pas aux autres d’en lire !". Le déroulé de sa visite au salon n’est pas encore fixé, mais le candidat souhaite en tout cas "rassurer les professionnels sur [s]on attachement au prix unique du livre et [s]on soutien à la lecture publique : je veux apporter un message positif".

Un livre adressé aux générations futures

Pour la génération qui vient : c’est le titre du court manifeste de Benoît Hamon, lancé ce vendredi 10 mars en office spécial par Les Equateurs (diffusion Interforum). Vendu 9 euros, l’ouvrage est imprimé à 55 000 exemplaires afin de servir une première mise en place de 45 000. Sur 12 chapitres et 128 pages, le candidat déroule son programme : adresse à la jeunesse ; montée de l’extrême droite ; 49-3 citoyen ; l’Europe vers une harmonie fiscale et sociale ; la transformation du travail et la nécessité d’un revenu universel ; la réduction du temps de travail ; la transition écologique ; les replis identitaires ; les dérives policières et la nécessité d’une police de proximité… Les chapitres 10 et 11 touchent plus directement à la culture. Le premier a trait à l’éducation. "C’est l’école qui m’a donné le goût de la lecture, raconte-t-il. La littérature peut surprendre, choquer, rassurer, parfois blesser. Dans tous les cas, elle a la vertu de nous habituer à la différence." Le chapitre suivant évoque le statut de l’artiste, l’économie digitale et les Gafan. "Les biens culturels ne sont pas des marchandises comme les autres", rappelle-t-il en réaffirmant le principe du prix unique du livre.

Dans l’ouvrage qui s’ouvre sur un exergue tiré de L’été d’Albert Camus, on retrouve les penseurs qui ont nourri les thèses du candidat : Camus pour "L’exil d’Hélène" (dans L’été), Jean-Paul Sartre et Claude Lévi-Strauss, mais aussi des contemporains comme la philosophe belge Chantal Mouffe, l’économiste Thomas Piketty ou le sinologue François Jullien.

A.-L. W.

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