DROIT DE PRÊT

Belgique, qui va payer ?

La Bibliothèque royale de Belgique, à Bruxelles. - Photo BIBLIOTHÈQUE ROYALE DE BELGIQUE

Belgique, qui va payer ?

Un nouvel arrêté sur le droit de prêt relance le débat en Belgique, principalement du côté francophone où bibliothécaires et sociétés d'auteurs s'affrontent.

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Par Laurence Santantonios
Créé le 16.10.2014 à 13h06 ,
Mis à jour le 20.10.2014 à 12h36

La querelle du droit de prêt en bibliothèque n'a pas fini de faire des vagues chez nos voisins belges. Voilà qu'un tout nouvel arrêté royal, avec pour conséquence une hausse sensible des redevances, vient d'être annoncé par le ministère de l'Economie belge. Les différentes parties concernées sont priées de réagir avant le 14 septembre. Explication : après avoir tardé à appliquer la directive européenne de 1992 relative au droit de location et de prêt - comme d'ailleurs un certain nombre de pays, dont la France qui ne s'y est mise qu'en 2003 - la Belgique avait adopté en 2004 un arrêté selon lequel les bibliothèques publiques devaient s'acquitter de 1 euro par inscrit majeur et de 50 centimes par inscrit mineur. Ce qui équivalait à un versement de 1,3 ME par an pour l'ensemble des bibliothèques de la Communauté flamande et de 450 000 euros pour les bibliothèques de la Communauté française, le tout collecté et réparti par la société de gestion collective Reprobel (le CFC belge) : 70 % aux auteurs, et 30 % aux éditeurs.

Depuis cette date, les bibliothèques s'acquittaient tant bien que mal de ces rémunérations, plutôt bien du côté flamand où la Communauté concernée avait décidé de régler les rémunérations pour l'ensemble de son réseau, mais pas toujours aussi bien du côté des bibliothèques francophones, qui devaient se débrouiller pour payer elles-mêmes, la Communauté française s'en trouvant incapable, faute de moyens.

Aumône

Problème : depuis le début, les auteurs ont estimé qu'on leur faisait l'aumône, que les sommes récoltées étaient insuffisantes. Un recours en annulation avait même été porté devant la Cour de justice européenne par la société gestion des droits Vewa qui accusait l'arrêté adopté de violer les dispositions de la directive. Réponse de la Cour le 30 juin 2011 : la rémunération due aux auteurs en cas de prêt public ne pouvait pas être calculée exclusivement en fonction du nombre d'emprunteurs mais devait prendre en compte le nombre de documents mis à disposition du public. D'où ce nouvel arrêté royal envoyé aux différentes parties en plein milieu de cet été et prévoyant un tout autre dispositif : les rémunérations seraient désormais calculées sur la taille des collections et le nombre de prêts réalisés par chaque bibliothèque, avec effet rétroactif. De 2012 à 2017, la rémunération globale passerait progressivement de 1,75 ME à 3,2 ME à répartir entre les deux communautés, de 450 000 euros à 800 000 euros pour les francophones, et de 1,3 ME à 2,4 ME pour les Flamands. Panique chez les bibliothécaires francophones qui font circuler des pétitions alarmistes dans les médias depuis quelques semaines : "Nous respectons le droit des auteurs, déclare le président du Conseil supérieur des bibliothèques, Jean-Michel Defawe. Mais, d'une part, nous n'avons même pas été invités à participer aux groupes de travail pour mettre au point ce nouvel arrêt et, d'autre part, nous ne sommes pas en mesure de nous acquitter de telles sommes ! Nous allons nous battre sur le volet rétroactif, nous n'en avons pas les moyens. Dans ma seule bibliothèque de Liège, il faudrait que l'on paye 19 000 euros d'arriéré !"

Chez les sociétés d'auteurs, on est plus calme mais tout aussi déterminé. "Ce sont les auteurs, vivant difficilement de leur travail, qui devraient lancer un SOS !" lance Frédéric Young. Le délégué général pour la Belgique de la SACD-Scam (Société civile des auteurs multimédia), qui tient à dire son attachement à la lecture publique, se désole de cette "guerre des pauvres" et estime que les sommes mises en jeu ne justifient pas de tels cris d'orfraie. "En ce qui concerne le volet rétroactif, les bibliothèques qui ont respecté la loi n'auront pas plus à débourser pour les années passées, précise-t-il, le dispositif a été calculé pour ça. Le problème est que certaines n'ont pas payé ce qu'elles devaient..." Même son de cloche dans la Communauté française, où le directeur du service de la lecture publique, Jean-François Füeg, entend la colère des bibliothèques, mais commente : "Je crois sincèrement qu'elles se trompent. Nous avons fait des calculs, les montants à payer ne seront pas si élevés, ce n'est pas la mer à boire ! Il est vrai, cela dit, que la gestion de l'arriéré ne va pas être simple à gérer et risque de pénaliser les petites bibliothèques."

Ne pas faire de vagues

Dans le nord, chez les Flamands, la Communauté a organisé des réunions et fait des simulations : les bibliothèques, qui craignaient le pire, ne contestent pas le nouvel arrêté et préfèrent manifestement ne pas faire de vagues... redoutant que leur tutelle décide de changer son fusil d'épaule. "Il y a toujours eu une différence de culture entre le nord, libéral et habitué au droit de prêt des Pays-Bas, très avantageux pour les auteurs, et le sud, plus socialiste et moins riche. Mais une solution devrait se dégager", conclut sagement Julien Van Borm, du Conseil des bibliothèques flamandes.

Il faut l'espérer, car les auteurs ont déjà fait savoir ces jours-ci qu'ils trouvaient les redevances encore bien faibles par rapport à celles qui sont payées en France ou aux Pays-Bas. Après la réunion des bibliothèques francophones, organisée par Jean-Michel Defawe le 4 septembre, toutes les parties se réuniront le 10 septembre pour faire leurs propositions. Affaire à suivre...

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