4 octobre > Essai France > Charles Dantzig

Ecrire, c’est savoir regarder. Ce serait même la moindre des choses. Regarder non pas le monde tel qu’il va ou même tel qu’il ne va pas (laissons cela à l’ennemi juré de la littérature, l’éditorialisme), mais d’abord ceux qui l’habitent avec une grâce inégale et souvent confuse. Regarder comment ils bougent, ce que leurs gestes nous disent et que parfois ils voudraient taire. C’est à cette tâche, dans l’esprit d’encyclopédisme gourmand et buissonnier qui lui est propre, que s’est attelé Charles Dantzig. Son Traité des gestes est une balade, une fugue loin des allées romanesques balisées à l’excès de cette rentrée littéraire.

Ses gestes, il en recense 144 tout au long des 400 pages du livre, dans un désordre joliment foutraque. Des gestes avec la cigarette jusqu’à ceux qui sont des souvenirs d’amour en passant par ceux de Fellini, des militaires ou du pénis, d’hier ou d’aujourd’hui et enfin de toujours. Tous sont l’occasion de brillantes variations où l’autobiographie croise et se confond avec l’érudition, et le compagnonnage avec la beauté, la solitude parfois. C’est un en deçà du langage ou bien une langue cryptée que défriche en explorateur Dantzig. Ses gestes sont autant de fables, de contes moraux et de poésie mêlés. Ainsi, parmi tant d’autres exemples, "certaines femmes très refaites amènent sans arrêt leurs cheveux autour de la ligne extérieure de leur mâchoire tout en avançant les lèvres. Elles semblent regretter un excès de chirurgie et serrer les cheveux comme on serre une veste pour cacher la tache d’une chemise. Ce geste est une manifestation touchante de gêne." Le regard du moraliste est moins cruel (c’est la vie qui l’est) qu’aigu, acéré, mais il est aussi chargé d’une tendresse qui refuse de se donner en spectacle. Il ne hiérarchise jamais parmi les gestes qu’il considère, soumet pareillement à l’examen le noble et l’ignoble, le collectif et le privé, le politique (ou la scène, ce qui revient au même) et l’intime. En réalité, ce Traité des gestes est une comédie musicale en Technicolor furieusement joyeuse et mélancolique. O. M.

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