Le 8 janvier 2016, David Bowie sort son ultime album Blackstar. Titre prémonitoire. Deux jours plus tard, le musicien s’éteint, ravagé par un cancer du foie. Il avait 69 ans. Pour Daniel Salvatore Schiffer, l’icône pop britannique s’inscrit dans l’esprit des dandys qui ont choisi de mourir avec panache, en offrant une dernière salve de leur talent, sachant pertinemment que la fin autorise tous les moyens. Surtout quand on est musicien.
A partir de ce cas particulier, le philosophe a recherché les exemples de ces morts sublimes dans l’histoire afin de composer, en creux, un traité de savoir-vivre qui débouche sur l’art de mourir. Car si vivre est un art, pourquoi mourir devrait-il s’accomplir sans élégance ?
D’une succession de citations sur le dandysme, sur la mort, sur le destin et sur l’art que Schiffer a organisées et reliées entre elles autour de David Bowie, "philosophe sans le savoir", il a tressé des chapitres qui ont fini par former un livre. "J’ai mis tout mon génie dans ma vie ; je n’ai mis que mon talent dans mes œuvres", écrivait Oscar Wilde, non sans dépit. Schiffer tente de surmonter la difficulté en proposant une promenade chez ceux, de l’Antiquité à Cioran, qui ont dit non à une fin de vie sans faim de distinction.
"On peut aimer que le sens du mot "art" soit tenter de donner conscience à des hommes de la grandeur qu’ils ignorent en eux", écrivait Malraux dans sa préface du Temps du mépris. Cette grandeur-là, cette petite montagne ignorée, Schiffer la traque avec un évident plaisir. Sans doute pour lui-même, avant tout.
Mais, chemin faisant, on se plaît à le suivre dans les méandres de cette dimension universelle du "mourir".
A l’heure où l’acte de mourir dans la dignité est très prégnant, comme en témoigne le succès du livre d’Anne Bert, Schiffer exprime un fait essentiel. Ce n’est pas la mort qui est susceptible d’être sublime, mais le passage. Pourtant, ce passage est souvent un déchirement, une catastrophe pour bien des individus.
Faire de sa vie, mais aussi de sa mort une œuvre d’art, prétention ultime du dandy, n’est pas à la portée de tout le monde. Même si tout le monde finit par mourir. Entre philo, pop et esthétique du sublime, cet essai a le mérite de poser le problème sans prétendre avoir trouvé la solution. Laurent Lemire