Avant-critique

Avec "L'Ickabog", J.K. Rowling revient à la littérature jeunesse

J.K. Rowling - Photo DR

Avec "L'Ickabog", J.K. Rowling revient à la littérature jeunesse

De quoi l'Ickabog est-il le nom? A la lecture du premier roman jeunesse de J.K. Rowling depuis la fin de la saga d'Harry Potter, ce conte cruel et mélancolique sur la tragicomédie du pouvoir démontre que les pires monstres ne sont pas ceux que l'on imaginait dans nos cauchemars.

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Par Vincy Thomas,
Créé le 27.11.2020 à 19h14

Gallimard jeunesse avait décidé de reporter le nouveau roman de J.K. Rowling, prévu le 12 novembre. L’éditeur souhaitait attendre la réouverture des librairies. Celles-ci levant le rideau le 28 novembre, L’Ickabog sortira finalement le 3 décembre, tiré à 150000 exemplaires. Hedwige Pasquet, directrice de la maison, justifie cette décision en rappelant que ce sont les libraires qui ont fait le succès d’Harry Potter.

L’ickabog est le premier roman jeunesse de l’écrivaine depuis la fin de la saga du sorcier à lunettes. Aucune interview prévue pour la promotion, mais une intense campagne sur les réseaux sociaux, en affichage et en plv dans les librairies.

Déglorification

Ickabog, quel drôle de nom. Il est dérivé d’Ichabod, selon l’écrivaine, qui signifie « la gloire s’en est allée ». « J’ai écrit L’Ickabog par vagues, entre les tomes de Harry Potter » peut-on lire dans la préface. Décidée à ne plus publier de livres jeunesse, ce roman est resté au grenier, inachevé. Pendant dix ans. « Il est probable qu’il y serait toujours si la pandémie de Covid-19 n’était pas advenue, coinçant des millions d’enfants (…). C’est là que j’ai eu l’idée de mettre l’histoire en ligne gratuitement » explique-t-elle.

Dans le petit pays de Cornucopia, le bon et valeureux Fred Sans Effroi, de son palais de Chouxville, gouverne son Royaume idéal.  La légende de l’Ickabog prend racine dans la terre la plus hostile du pays, les Marécages. A l’instar du Loch Ness, son mystère se transmet de générations en générations. Et comme tous les monstres, on lui prête tous les pouvoirs, devenant l’origine de tous les problèmes.

Quand la couturière du Roi, Mme Doisel, décède de fatigue par devoir, le portrait idyllique de Cornucopia s’assombrit progressivement. Le Roi lui-même n’est plus vraiment en paix. Le lecteur prend conscience que sa tendresse et sa bienveillance masquent une vanité, un orgueil et un narcissisme toxiques.

Le style vif et le ton doux donnent à ce récit les allures d’un conte à l’ancienne, presque social et politique, de ceux qu’on murmure le soir pour s’endormir… La romancière met en scène plusieurs personnages, aux caractères bien identifiables, issus de toutes les classes sociales. J.K. Rowling parle ici du pouvoir, tout en s’en moquant, et des illusions qui entraînent de mauvaises décisions.

Désillusions

L’absolutisme monarchique créé ainsi un monstre, ennemi idéal pour assoir son autorité, mais aussi propager un sentiment d’effroi à partir de croyances et de fausses nouvelles. Les mirages conduisent à une lente désintégration. Allégorie de nos sociétés contemporaines, la traque de l’Ickabog, pousse Fred sans Effroi, obsédé par ce mythe et sous l’influence de ses vils conseillers, dans un élan guerrier, coûteux et absurde, où l’instauration de la peur permet l’enrichissement d’une caste.

De manière classique, l’écrivaine va opposer au Roi, deux enfants de victimes. Un pacte va lier Daisy, fille de la défunte couturière, et Bert, fils du commandant Beamish, lui aussi trépassé. Ils jouent les trouble-fêtes et par leur seule présence, hantent l’esprit du monarque. Cornucopia va perdre de sa superbe, écrasé par l’impôt et dirigé par des incompétents. La jeunesse est alors le seul espoir pour que le pays redevienne le plus « heureux du monde ».

Culpabilité et résistance germent de concert au fil de ce thriller fantasy d’inspiration médiévale. J.K. Rowling multiplie les histoires, les points de vue et enfonce le lecteur dans une noirceur nécessaire pour mettre en lumière les desseins, la vilenie et la sincérité des uns et des autres. Le monstre n'est finalement pas celui qui envahit nos cauchemars. Les monstres sont ceux qui mentent, manipulent, extorquent, exploitent... L’Ickabog n'est qu'un agent révélateur, qui « ne peut vivre sans espoir ». Et lorsque le lecteur rencontre (enfin) cette étrange créature, tous les masques tomberont et la justice pourra se faire. « La bonté peut rendre les pays plus doux » affirme l’auteure de ce roman passablement mélancolique et désenchanté, où elle déploie la richesse de son imaginaire habituel.

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