Le cumul des années et la maladie donnent parfois envie de se retourner sur son passé. Maria Gainza a trouvé une voie atypique. En Amérique latine, son nom est bien connu du monde de l’art. Sa réputation de journaliste et de critique d’art lui octroie une position majeure. Mais qui est vraiment cette Argentine qui travaille pour le supplément culturel du quotidien Página/12? "La réalité ne peut qu’être saisie à travers les raccourcis de l’imagination. Nous avons tous besoin de donner un sens au non-sens de la vie." Aussi la fiction raconte l’existence qui devient mythe. D’ailleurs, elle n’a pas souhaité se plier à notre exercice de l’encadré biographique "En dates", préférant distiller des fragments approximatifs.
Son enfance a été marquée par les silences familiaux. "Souvent, les écrivains écrivent avec ce qu’ils sont, mais aussi avec ce qui leur manque. Peut-être que ce livre est une façon d’appeler les fantômes par leur nom." Ses parents évoluent dans une Argentine qui "s’embrase" par moments. D’autres incendies, personnels ceux-ci, guettent les êtres fragiles: l’amour, l’enfantement ou les fêlures invisibles.
Une urgence de vivre
"La vie m’a façonnée plus que l’art", assure Maria Gainza, même si "l’art vous offre, sans aucun doute, une excellente compagnie". Elle apprécie autant les livres - "objets de réconfort ou de transition" - que les œuvres. Dans son métier, elle aimerait "être capable de réduire le fossé entre l’art et les gens". Ce qui l’émeut? "Comment l’esprit voyage à travers la matière." Les tableaux traduisent souvent mieux que les mots nos tréfonds. Elle construit un autoportrait en associant des fragments de souvenirs et de toiles l’ayant intensément transportée. Rothko, Foujita ou Courbet, "étincelle dans [s]on esprit", contribuent à l’approcher au plus près. "La distance entre ce que l’on écrit et ce qu’on est paraît parfois abyssale, parfois négligeable. Mon existence a été plus plate et monotone que celle de mon personnage." On sent, chez Maria Gainza, une urgence de vivre, liée à des ennuis de santé. Cela a engendré sa soif d’un "bonheur poétique. Une sorte d’émotion forte qui nous saisit quand nous sommes particulièrement vulnérables. Cela peut changer nos vies car, comme l’écrit Tchekhov, il s’agit d’un espoir ineffable et doux de bonheur, un bonheur mystérieux et inconnu", qui sied si bien à cette auteure discrète. Kerenn Elkaïm
Maria Gainza, Ma vie en peintures, Gallimard, Traduit de l’espagnol (Argentine) par Gersende Camenen, Prix: 18 euros, 192 p., Sortie: 31 mai, ISBN: 978-207-273-0436