Professeur à l’université de Paris-8, Marcel Dorigny s’est spécialisé dans l’histoire de l’esclavage, son abolition dans les colonies d’Amérique, ses rapports avec les mouvements d’indépendance. Il est notamment le coauteur de L’atlas des esclavages, paru chez Autrement en 2005, avec le cartographe-géographe indépendant Fabrice Le Goff, lequel signe de nouveau les cartes, magistrales, du présent Atlas des premières colonisations. Les deux entreprises étant liées en un diptyque qui fait sens, puisque l’esclavage fut l’un des principaux dégâts de la colonisation.
L’historien définit d’abord les principes fondamentaux et multiples qui ont présidé aux premières expéditions « colonisatrices » de la part, en premier, des Portugais, puis des Espagnols, dès le XVe siècle. Se lancer à la découverte du reste d’un monde qu’ils pressentaient, donc faire progresser la connaissance, s’y tailler des territoires, de façon plus ou moins profonde et pérenne, et s’en approprier les richesses, y compris humaines, par tous les moyens, même les plus radicaux : l’esclavage, ou le génocide des populations et des civilisations autochtones, comme en Amérique du Sud, puis du Nord. A quoi s’ajoute, bien sûr, une autre mission, celle-là d’ordre spirituel, et qui, selon les expéditions et les pays, deviendra parfois l’objectif principal : propager la « vraie foi », convertir au christianisme, de leur plein gré ou par la force, le plus possible de païens, d’idolâtres et autres sauvages, quitte à massacrer les réfractaires.
La France n’est entrée concrètement dans cette grande course économico-politique que tard, au XVIIe siècle, quand Colbert, ministre de Louis XIV, crée la Compagnie des Indes orientales, en 1661. Une société d’Etat chargée de tailler à notre pays un morceau d’empire dans les Indes immenses, les armes à la main lorsqu’il le faut, et de faire commerce de leurs richesses. Un système se met en place, semblable à celui des autres puissances colonisatrices - Portugal, Espagne, Angleterre, Pays-Bas, et même Danemark - : à partir de leurs comptoirs, dont la « capitale » est Pondichéry, les Français achètent épices, tissus, thé ou pierres précieuses en échange d’or et surtout d’argent, les rapportent en métropole -le port breton de L’Orient devenu Lorient est créé tout exprès -, les revendent avec bénéfice, puis repartent. Mais la spécificité de cette histoire franco-indienne, mal connue ici, c’est qu’elle a duré jusqu’au milieu du XXe siècle et que les anciens comptoirs français, restitués à l’Inde, n’en demeurent pas moins jusqu’à aujourd’hui des « fenêtres ouvertes », notamment culturelles, entre les deux pays, ainsi que le voulurent Gandhi, puis Nehru.
L’Atlas de Dorigny et de Le Goff, lui, passionnant, se clôt au début du XIXe siècle, avec les projets de colonisations de Napoléon, et au moment où les premières indépendances viennent remettre en question une domination née en 1492, à cause d’un certain Christophe Colomb. J.-C. P.