Quand un matin d’août 1997 les Britanniques apprennent le décès de la princesse Diana, c’est l’émoi général : effusion de larmes en place publique, fleurs, nounours, "lettres d’adieux"… Du jamais-vu. Le deuil d’un peuple inconsolable prend de court la presse et les politiques et surprend jusqu’à la reine. Ce n’est pas très anglais, on est bien loin du stoïque "stiff upper lip" (les lèvres qui ne tremblent pas devant l’adversité) de rigueur outre-Manche : les mentalités changent comme les émotions par lesquelles elles s’expriment.
Autres temps, autres humeurs. Achille, archétype du héros viril, ne s’arrache-t-il pas, selon le récit d’Homère, les cheveux en se roulant dans la poussière et hurlant sa douleur à l’annonce de la mort de son ami Patrocle ? Si les artistes comme Charles Le Brun au XVIIe siècle se sont évertués à recenser les différents visages que revêtent la joie, la colère, la peur, le ravissement, les historiens se sont peu penchés sur les humeurs des hommes et des femmes au fil des âges. Aucune étude des affects n’a été entreprise de manière systématique. Peut-être du fait qu’elle est variable, l’émotion a été frappée du sceau de la péjoration. Dans le Dictionnaire de l’Académie de la fin du XIXe siècle, elle est définie comme "une altération, un trouble, un mouvement excité dans les humeurs, dans l’économie". On dit aussi que la gent féminine est plus souvent aux prises avec ces changements. Lucien Febvre fut "l’un des premiers à suggérer une "histoire des sentiments", rappellent dans leur introduction Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello qui dirigent cette passionnante Histoire des émotions, en trois volumes. Après l’Histoire du corps (Seuil, 2005) et l’Histoire de la virilité (même éditeur, 2011, et traduit en 2016 par Columbia Press University), le trio investit un champ qui couvre une multitude d’objets historiques : mort, enfance, corps, visage et expression, question du genre et de la sexualité, etc. Et pose une pierre d’angle dans l’édifice de l’histoire des mentalités. S. J. R.
