Et toi, tu arrives à en vivre ? » Plus que l'échange de -recettes ou de techniques, « quand deux auteurs de cuisine se rencontrent, cette -question fuse immuablement au bout de cinq minutes. C'est sympto-matique », témoigne Linda Louis, qui écrit des livres de cuisine depuis quinze ans. D'autant que la -réponse se révèle, à l'écrasante majorité, négative. Si, il y a encore une dizaine d'années, les auteurs culinaires, principalement des femmes, pouvaient vivre de ce métier, « ce n'est plus le cas aujourd'hui, confirme Estérelle Payany. Certes, il y a des exceptions, mais ce sont des arbres qui cachent une -forêt désormais obligée de trouver des activités complémentaires. »
Faire bouillir la marmite
Communication, journalisme, cours ou coach en cuisine, ces auteures multiplient les emplois pour simplement parvenir à faire bouillir la marmite et compenser des revenus qui ne cessent de se dégrader. « Pour écrire un livre, aujourd'hui, on me propose un tiers de ce que j'étais payée il y a douze ans », détaille Julie Schwob, qui fait paraître en octobre une encyclopédie de la conservation chez Flammarion et Le grand livre des bonnes soupes à La Martinière. Certaines gardent une activité salariée à temps plein, comme Clea, qui publie son 30e ouvrage aux éditions de la Plage en septembre (Coaching veggie). « Je n'ai jamais voulu franchir le pas et prendre le risque de me lancer dans des activités en indépendante, nécessaires à côté du métier d'auteur », explique la quadragénaire.
En cause, un marché où les petits prix dominent, des ventes au titre qui diminuent, une concurrence exacerbée, des droits d'auteur faibles, fixés à 4 % en moyenne mais qui peuvent osciller entre 2 % et 7 %, et des titres qui dépassent de moins en moins les premiers tirages. « Les éditeurs les calculent au plus juste. C'est -normal, ce sont eux qui prennent les risques financiers, estime Sylvia Gabet. Mais si on ne parvient pas à aller au-delà de ce premier -tirage, il ne reste que l'à-valoir, et là c'est vraiment raide. » Pour un livre de 72 pages tiré à 4 000 exemplaires, un auteur culinaire expérimenté, mais pas médiatiquement -reconnu, touche en moyenne 1 500 euros d'à-valoir. Une somme qui peut être doublée s'il assure également la photo. « C'est peu au vu de la masse de travail qu'exige un livre de cuisine », se désole Félicie Toczé, qui a mis un an à concevoir et réaliser son dernier ouvrage, Le riz : recettes végétariennes d'ici et d'ailleurs, paru en septembre chez Alternatives. Elle préfère considérer l'écriture de livre de cuisine comme « un projet artistique personnel, qui n'a pas vocation à être rentable pour son auteur ».
Renouer avec le plaisir
Au-delà de l'aspect financier, ces auteurs puisent leur motivation dans l'envie de transmettre, de rendre service ou de faire œuvre de pédagogie. C'est grâce à ce plaisir retrouvé que Trish Deseine, célèbre auteure des années 2000 (Petits plats entre amis et Je veux du chocolat !, Marabout), est revenue à l'écriture de livres de cuisine. Se retrouvant il y a cinq ans dans l'obligation « de produire, produire, produire avec toute une armée de photographes, de stylistes et de directeurs artistiques, des livres désincarnés, telle une usine et de faire trop de -compromis pour simplement en vivre », l'auteure irlandaise a préféré s'éloigner de l'édition pour se tourner vers le conseil. Avec C'est de la Trish !, publié en -octobre par La Martinière, elle a renoué avec le plaisir de concocter un « livre -complet dont la -matière est riche et l'emballage pensé pour servir les recettes afin de donner envie ». Une -formule qui l'a poussée à travailler sur un autre -projet, qui devrait voir le jour, toujours chez La Martinière, en 2019.