L'adoubement a valeur de symbole. En déclarant de son épatant premier roman Sauvage que c'était « une histoire d'amour singulière et inquiétante. Pensez sœurs Brontë et Stephen King », John Irving (dont elle fut par ailleurs l'assistante littéraire) a porté sur les fonts baptismaux Jamey Bradbury. Cette Américaine, originaire du Midwest, a choisi de vivre en Alaska, à Anchorage, depuis de nombreuses années. Après y avoir exercé toutes sortes de métiers (entre autres réceptionniste, actrice dans un « dinner show » ou secouriste...), elle s'y partage désormais entre engagement en faveur des « peuples natifs » de l'Alaska, passion pour les courses de trail et l'écriture. C'est bien ce compagnonnage profond avec son pays d'adoption qui innerve chaque page de cet inaugural Sauvage.
Tracy Petrikoff a 17 ans et une drôle de vie. Depuis la mort prématurée de sa mère, renversée une nuit par un camion sur une route où elle n'aurait jamais dû se trouver, elle vit seule avec son souvenir, avec son père, propriétaire d'un chenil et d'une « horde » de chiens destinés aux courses de traîneaux (mais vivotant le plus souvent d'expédients), et son plus jeune frère. En rupture de ban scolaire, Tracy ne rêve que des immensités sauvages qui l'entourent. Un jour de fugue dans la forêt, elle est attaquée, perd connaissance et se réveille couverte de sang, persuadée d'avoir tué son agresseur. Incapable de parler à son père de cet épisode, celui-ci va la hanter de plus en plus, tout en la révélant à elle-même, à ses dons exceptionnels, à son angoisse qui ne l'est pas moins. Aussi, lorsqu'un jour apparaît un mystérieux voyageur cherchant du travail, Tracy comprend-elle qu'elle a rendez-vous avec son destin, avec ses secrets.
Que l'on ne s'y trompe pas, cet argument romanesque ne vaut que parce qu'il met en valeur le véritable héros du livre, l'Alaska, sa vastitude, sa beauté inquiétante. Tout l'art déjà très éprouvé de Jamey Bradbury (qui était manifestement à bonne école avec John Irving) consiste à savoir très intimement mêler les registres, du thriller au conte romantique, à avoir écrit un roman noir sur fond de neige. Tracy, perdue et retrouvée, tour à tour victime et actrice de ses désirs, est un magnifique personnage. Son monde et ses horizons ont aussi la beauté qui peut faire celle des romans.
Sauvage - Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jacques Mailhos
Gallmeister
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 22,60 euros ; 320 p.
ISBN: 9782351781722