Qui a remarqué, au Vatican, une statue de marbre surnommée "Nigrita", érigée en 1608 sur ordre du pape Paul V, un Borghèse ? Personne, sans doute. Elle figure pourtant un homme d’exception, un de ces humbles héros complètement oubliés par l’histoire, à tort bien sûr.
La statue représente Nsaku Ne Vunda, un Bakongo, né en 1583 à Boko, Royaume du Kongo (aujourd’hui l’Angola), sous influence portugaise. Orphelin, adopté, il fut baptisé et ordonné prêtre sous le nom de dom Antonio Manuel. Il coulait des jours tranquilles dans sa paroisse, jusqu’à ce que, en 1604, le tout-puissant roi Alvaro II le convoque dans son palais de Luanda, la capitale, pour lui confier une singulière mission : aller trouver à Rome le pape Clément VIII, le seul capable de persuader les puissances européennes catholiques, principalement les Espagnols et les Portugais, de renoncer à l’esclavage et de libérer tous les malheureux vendus en Afrique, notamment par ses prédécesseurs. Un certain Alfonso Ier, pourtant converti au catholicisme, ayant été le premier, en 1509, à céder mille de ses frères aux Portugais, à destination de leur colonie brésilienne.
Notre homme accepte cette exaltante ambassade, et embarque sur Le Vent Paraclet, un vaisseau français affrété par le roi Henri IV, récemment converti, afin de plaire au souverain pontife. Mais il ignore que le bateau est un négrier, et qu’avant de retourner en Europe il fait voile vers le Brésil avec sa cargaison d’esclaves. Cela s’appelait le commerce triangulaire. Dom Antonio Manuel va vivre quatre années de cauchemar et d’aventures rocambolesques, impossibles à résumer. Il va découvrir le racisme, le fanatisme de toutes les religions, la cruauté, la barbarie. Tout cela va profondément ébranler sa foi. Seule lueur d’espoir, son amitié avec Martin, un mystérieux jeune mousse qui se révélera être une fille, Thérèse. Lorsqu’il parvient enfin à Rome, en 1608, mourant, son existence et sa mission sont complètement oubliées, et le nouveau pape bien décevant : un politique, comme les autres.
Faisant revivre, parler et écrire son héros plus de quatre cents ans après, Wilfried N’Sondé a bâti un livre puissant, à la fois roman d’aventures, réquisitoire objectif contre l’esclavage, et dénonciation de tous les intégrismes. Nsaku Ne Vunda n’est pas mort pour rien. J.-C. P.