Martin Suter ne mollit décidément pas. Après deux volumes où il mettait en scène pour notre plus grand délice les enquêtes du désargenté détective privé Allmen et de son majordome Carlos, Allmen et les libellules (Bourgois, 2011, repris en Points) et Allmen et le diamant rose (Bourgois 2012, repris en Points), le Suisse-alémanique revient aux affaires avec un roman noir au cordeau.
L’épatant Le temps, le temps a pour héros un dénommé Peter Taler. Fils d’universitaires, celui-ci aurait bien aimé être comédien mais est devenu comptable. Employé au service financier chez Feldau & Co, Peter est un amateur de bière frappée, bien qu’il n’apprécie pas l’odeur du breuvage et le boive directement à la bouteille. Monsieur roule en Citroën et habite, au numéro 40 du chemin Gustav-Rautner, un paisible lotissement de Zurich, un appartement de trois pièces situé au deuxième étage.
Notre homme prépare des spaghetti al pomodoro tout en écoutant Back to Black d’Amy Winehouse et en épiant le ballet de ses voisins. Citons Mme Feldter, hôtesse de l’air et propriétaire d’une Cinquecento bleu turquoise ; Mme Gelphant, la femme de ménage qui opère chez lui deux fois par semaine ; M. Knupp, 82 ans, enseignant à la retraite, un veuf peu bavard. Taler prend bien soin de dresser une assiette et un verre à l’intention de sa femme Laura, illustratrice free-lance, pour laquelle il allume également une Marlboro Gold bien qu’il ne soit quant à lui pas fumeur.
Sauf que Laura n’est plus de ce monde. Qu’elle a été tuée un an plus tôt d’une balle dans le dos alors qu’elle sonnait à la porte de leur immeuble. La balle est d’un calibre subsonique, projectile utilisé principalement dans le tir sportif. Le tueur est depuis resté inconnu. Dans le quartier, il n’y a eu aucun témoin du meurtre, personne n’a rien vu, rien entendu. Depuis qu’il enquête sur l’étrange affaire, le sergent Marti n’a pas réussi à se décider à boucler le dossier.
Taler, lui, a le vague sentiment que quelque chose ne colle pas « là, à l’extérieur ». Qu’il doit poursuivre l’investigation à sa manière. Et percer le mystère. Parmi ses voisins, Knupp l’intrigue plus que les autres. Pourquoi diable a-t-il notamment entrepris de déterrer ses pommiers pour en planter de plus jeunes ?
Le prière d’insérer des éditions Christian Bourgois affirme que l’ancien publicitaire est ici au sommet de sa forme. On ne voit pas comment leur donner tort tant Martin Suter épate plus que jamais avec Le temps, le temps. Opus réglé au millimètre où il joue admirablement avec la tension de ses lecteurs et s’autorise toutes les audaces. Al. F.