Un siècle après le génocide arménien, de nombreux ouvrages interrogent ce passé à la lumière du présent. L’essai de Michel Marian se distingue par sa capacité à ramasser l’essentiel des faits et des interrogations sur le sujet. L’auteur est particulièrement impliqué, puisqu’une partie de sa famille a été assassinée à Erzerum, la grande ville du nord-est de la Turquie.
Agrégé de philosophie, professeur à Sciences po, Michel Marian revient sur ce qui a rendu possible ce massacre. "Ce qu’on peut reprocher aux Occidentaux n’est pas une responsabilité, mais l’irresponsabilité de l’abandon : le contraste entre la vigueur de leur déclaration de 1915 et la rapidité de leur résignation à céder le terrain." La France, la Grande-Bretagne et la Russie avait pourtant dénoncé le "crime contre l’humanité" en 1915.
Dans son grand roman Les 40 jours du Musa Dagh (Albin Michel, 1936, réédité en 2015), Franz Werfel met en scène un Allemand qui parle de "solution définitive" du problème arménien. Michel Marian, lui, cite l’ambassadeur allemand allié des Ottomans qui écrit, le 7 juillet 1915 : "La manière dont s’accomplissent les déplacements montre que le dessein du gouvernement est bel et bien d’éradiquer la race arménienne de l’Empire turc."
Cette intention de "faire du chiffre" se retrouve dans les génocides juif en Europe et tutsi au Rwanda. "C’est à la fois dans sa ressemblance et dans son écart avec l’Holocauste que l’on peut donner sa place au génocide arménien." Michel Marian envisage ainsi des "gestes convergents tendant à désigner le 24 avril comme la date commune du souvenir des crimes contre l’humanité et des génocides". Après le vote d’une loi déclarative du Parlement français en 2001 qui "reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915", c’est une piste plausible.
Laurent Lemire