L'Europe après 1945 n'est pas un bloc. Jusqu'en 1989, au moment où le communisme s'effondre sous le poids du déni comme un arbre s'écroule sous le poids de la neige accumulée, elle est fragmentée en deux territoires politiques bien distincts, deux entités qui s'affrontent, l'Ouest et l'Est. Avec le sens du récit qu'on lui connaît, toujours sans notes comme dans le précédent volume, Ian Kershaw déroule les 70 années qui ont conduit l'Europe où elle en est actuellement. Où en est-elle d'ailleurs après le boom économique à l'Ouest, l'apparition politique de la jeunesse avec la contestation dans les années 1960, la difficile transition démocratique des pays de l'Est après 1989, la guerre en ex-Yougoslavie, la construction européenne, l'apparition du terrorisme, la crise financière et le Brexit ?
Il faut du souffle pour aborder un tel sujet et l'on comprend l'auteur quand il dit avoir souffert. Cette synthèse personnelle s'appuie sur les travaux d'autres grands historiens comme Tony Judt (Après-guerre, Pluriel, 2019) ou Eric Hobsbawm (L'âge des extrêmes, nouvelle édition chez Agone le 17 janvier 2019). De plus ce spécialiste d'Hitler et du Troisième Reich est, à la différence de L'Europe en enfer (Seuil, 2016, Points, 2018, 19 000 exemplaires au total selon GFK) le contemporain de la période qu'il décrit dans L'âge global.
Avec lui nous revisitons les tours et les détours d'une Europe qui se cherche en se construisant et qui semble parfois plus se construire par les règles et les règlements que se chercher politiquement. Si « la fin de la Seconde Guerre mondiale marqua le début de la fin de l'impérialisme européen » elle mit aussi en évidence les fractures qui ont vu le jour entre ces pays entraînés par le dynamisme économique de l'Allemagne. Jusqu'à la crise pétrolière de 1973, la prospérité s'affirme comme la marque de la nouvelle ère de l'Europe occidentale. La culture a joué également un rôle essentiel dans le façonnement de quelque chose qui ressemblait à une idée politique. La fin de la guerre froide suscita de grandes espérances jusqu'à l'entrée concrète du vieux continent dans la mondialisation avec les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, la crise financière de 2008 venue d'outre-Atlantique et la déstabilisation du Moyen-Orient par les Américains qui a conduit des flots de migrants vers l'Europe.
En lisant Kershaw on s'aperçoit que la France compte dans cette élaboration européenne mais sans doute moins que l'Angleterre qui s'apprête à la quitter. Les sept décennies brossées par l'historien britannique révèlent « un mélange grisant de grandes réalisations, de graves déceptions, voire de désastres. » Avec L'âge global Ian Kersaw boucle son diptyque commencé par L'Europe en enfer. Si elle paraît sortie de l'enfer, elle ne semble pas pour autant avoir atteint le paradis, toujours en quête d'une identité, mais portée par une intelligence historique qui l'a conduit à gagner sa liberté. Ce n'est pas le moindre atout pour affronter l'avenir.
L'âge global : Europe, de 1950 à nos jours - Traduit de l'anglais par xxxxx
Seuil
Tirage: 9 000 ex.
Prix: 26 euros ; 640 p.
ISBN: 9782021243680