Après 114h de film, nous en sommes à Albertine disparue, l’avant-dernier livre. Au départ, la cinéaste attachait une ficelle au pied du lecteur et la tirait au bout de six minutes. « Mais je n’ai pas osé avec Annie Girardot, la n°42 ! Depuis, on coupe le texte à un endroit cohérent », sourit-elle, également revenue sur un autre critère : désormais, on ne recommence plus le plan séquence si un mot est mal prononcé. « Un jour, un homme a fait deux fois la même erreur, en disant ‘ma grand-mère et ma grand-mère’ au lieu de ‘ma mère et ma grand-mère’. Lapsus intéressant ! »
A la recherche du passé du lecteur
Ce choix permet aussi de préserver les accents, et par là le propos même de l’auteur sur la mémoire. « Le mot ‘Guermantes’ par exemple, qui s’ouvre comme une fleur : les lecteurs se trompent presque toujours sur sa prononciation ! Chacun projette son inconscient, a ses propres histoires et ses propres souvenirs. »
Pendant le confinement et durant ses voyages, Véronique Aubouy a recueilli des voix des Etats-Unis, d’Angleterre, du Mexique, de Slovénie, d’Italie, d’Espagne… Les candidats choisissent la mise en scène, dans un train, au bord de la mer, avec des animaux… L’actrice Bernadette Lafont était par exemple accompagnée d’un guitariste. Le cinéaste Mathieu Amalric et le député Noël Mamère ont également joué le jeu, en attendant, bientôt, le musicien Arthur H…
Portrait de notre époque
Le plus jeune participant avait 5 ans et demi. Un autre a été filmé à ses 11, puis 17 et 23 ans. Chaque année, cinquante sont filmés en moyenne et à ce rythme le film devrait être terminé avant 2050… « Mais j’aimerais ne pas finir, c’est compliqué de finir, c’est devenu ma manière de vivre, rencontrer des gens, comprendre le monde, car je comprends beaucoup de choses en les filmant lire Proust, une œuvre universelle. Tout mon travail de cinéaste, c’est de voir comment les textes littéraires résonnent en nous. C’est que dit le personnage à la fin : que son livre sera comme un verre grossissant grâce auquel les lecteurs pourront lire en eux-mêmes. »
Pour ceux qui veulent mettre un terme à Proust lu, rendez-vous également du 14 au 17 décembre dans la médiathèque Simone Veil, à La Ciotat. Et pour ceux qui ne sont pas dans les parages, ils peuvent contacter Véronique Aubouy sur son site. Qui sait, elle passera peut-être, un jour, du côté de chez vous…