En 1914, l’Italo-Polonais Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky, plus connu sous son nom de plume, Guillaume Apollinaire, s’engage dans l’artillerie pour défendre la France, son pays d’adoption, à qui il était viscéralement attaché, contre les "Boches". Il ne sera naturalisé qu’en 1916, juste avant d’être blessé à la tête par un éclat d’obus. On sait qu’il mourra en 1918, à Paris, des suites de la grippe espagnole. Quelques mois après la publication de Calligrammes au Mercure de France, tiré à 1 000 exemplaires.
Même au front, l’officier reste poète. Il rassemble ses Calligrammes, composés entre 1912 et 1917, pour en constituer un recueil. Deux thèmes principaux s’y mêlent : la célébration de la vie d’avant, avec ses bonheurs enfuis, et, omniprésente, l’évocation de la guerre, de façon souvent très réaliste. Inventant, entre autres, "l’autopoésie", Apollinaire, comme s’il pressentait sa mort prochaine, écrit ainsi : "Où donc est tombée ma jeunesse/Tu vois que flambe l’avenir." Ou bien, dans l’étonnant "Chant de l’honneur", il fait parler la tranchée où il est enterré vif avec ses frères d’armes, les balles qui sifflent à leurs oreilles et viennent les faucher. Quant à la forme, Apollinaire, là aussi, fait œuvre innovante, jouant sur la typographie afin que le texte du poème, sans même qu’on ait besoin de le lire, en exprime le sujet. C’est le cas de "Cœur couronne et miroir", ou encore du célèbre "Il pleut", dont les cinq vers en diagonales verticales fouettent la page. Editeur lui-même, fou de livres, Apollinaire exigea des prouesses techniques. Le recueil fut ensuite repris en 1925 à la Nouvelle Revue française, mais dans une édition quelque peu fautive.
Pour marquer le centenaire de sa composition, Gallimard, associé à La Compagnie typographique, en publie donc, en grand format, une édition en tous points conforme à l’originale de 1918, ornée en frontispice du fameux portrait d’Apollinaire blessé, par son ami Picasso. Ce livre exceptionnel bénéficie d’un tirage de tête à 180 exemplaires. A la suite de Calligrammes, l’éditeur a joint une reproduction en fac-similé de Case d’Armons, recueil de 21 poèmes repris dans le livre, calligraphié par le poète et polycopié "à la batterie de tir devant l’ennemi" en juin 1915, avec l’aide de deux de ses camarades, Bodard et Berthier. Vingt-cinq exemplaires à l’encre violette ont été tirés, tous différents, et adressés à quelques souscripteurs amis. Il n’en reste que quelques-uns. C’est un trésor bibliophilique émouvant, c’est aussi le manifeste de la formidable créativité d’Apollinaire, même sous les obus.
Jean-Claude Perrier