Avant-Portrait

L'universel, c'est le local moins les murs », écrivait Miguel Torga. Tout, toujours, est un monde. La Corse peut-être plus encore. Peu de monde la connaît aussi bien que le correspondant du Monde dans l'île, Antoine Albertini. Nul sans doute n'écrit aussi bien à son propos. Pour Albertini, la Corse est un petit théâtre intime, comme l'était la Sicile pour Leonardo Sciascia ou comme l'est Majorque pour José Carlos Llop. On parle là d'écrivains, c'est-à-dire, d'écriture, cela dût-il déplaire au principal intéressé, qui ne se revendique d'autre noblesse de robe que celle de journaliste. 

La faute à son éditrice

Le voilà pourtant au Bonaparte, un café de Saint-Germain-des-Prés, pas très bien dans sa veste en tweed, pour évoquer presque gêné la sortie prochaine de son premier roman, noir, et du noir le plus profond, Malamorte. L'histoire ? Quelle histoire ? Y en a-t-il jamais d'autres que celle-là ? Un flic à la ramasse, qui dans sa vie et sa carrière a été pile-poil là où il n'aurait pas dû et qui, depuis, laisse passer les jours quelque part du côté de Bastia, en se disant que peut-être quelque chose arrivera, fût-ce une ultime enquête, fût-ce un chagrin. Ce quelque chose de cet ordre finira par lui tomber dessus sous la forme de deux victimes ordinaires, une petite fille de 5 ans, Hakima, et sa mère, Khadija. La belle affaire, sauf que ce sera celle de trop. Assez de lourdeur, assez de tragique. De l'action. Un coupable, et des coupables. Et d'abord ce pays qui part à vau-l'eau, de ses villas les plus altières à ses zones les plus résolument abandonnées à toute idée de beauté ou d'harmonie. Le policier cherche. Il ne va cesser de trouver.

Pour justifier de s'être ainsi « laissé aller » au roman, Antoine Albertini rejette la faute sur son éditrice chez Lattès, Anne-Sophie Stefanini, d'un joli et « corso-japonisant » : « L'eau tranquille fait s'effondrer parfois les berges de la rivière. » Bref, il a plongé, le bougre. Et ceux qui ont lu ces merveilles d'enquêtes qu'étaient La femme sans tête (Grasset, 2013) et Les invisibles (Lattès, 2018) n'en seront pas autrement surpris. Tout menait à cela ce gamin issu des milieux bastiais les plus aisés, et d'abord (après avoir vaguement vendu des armes de contrebande au lycée et rêvé de s'engager dans la Légion étrangère) sa lecture, le jour de ses 19 ans, du Brown's requiem de James Ellroy. Il y a des vies qui changent pour moins que ça. Antoine Albertini ne sortira jamais de cette scène initiale, y compris dans sa vie de journaliste, l'idée que la violence, le crime, sont un paradigme de la société. Et qu'en Corse c'est aussi un fondement culturel.

C'est donc de là qu'il écrit, de cette enfance aussi, les années 1980, quand son île était déchirée chaque année par des centaines d'attentats à l'explosif. Il y viendra après deux maîtrises en droit fiscal, une bifurcation parisienne pour exercer ses talents initiaux de journaliste au Journal des finances, avant de rentrer chez lui, à France 3 Corse tout d'abord, et d'être repéré par Ariane Chemin, grande amoureuse elle aussi de l'île de Beauté, et d'être nommé correspondant du Monde dès 2003. 

Depuis, il y aura eu ses livres. « Prolongement logique et nécessaire de mon travail de journaliste », dit ce lecteur passionné de Talese, Mitchell ou Grann. Et depuis peu, cette collection chez Lattès, « Les invisibles » (du nom de son propre livre), qui associe un meurtre à un territoire. Refaire le monde, refaire le mort en somme, dans toute l'horreur splendide de l'universalité du local.

Antoine Albertini
Malamorte
Lattès
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 19,90 euros
ISBN: 9782709663434

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