Sinclair, un « nom de guerre » choisi au hasard par son père, lors de la Seconde Guerre mondiale. Ce nom, synonyme de résistance, entre en résonance avec Anne, qui a dû affronter les coups de la vie. Difficile de se raconter, de dérouler le fil d'une existence bien dense. Que veut-on livrer, cacher ou raconter entre les lignes ? Composée lors du confinement, cette autobiographie se distingue par une sincérité déconcertante. Elle fouille les failles, les contradictions ou les émotions enfouies. Les fées se sont pourtant penchées sur son berceau. Née à New York, en 1948, elle quitte son pays natal à 2 ans. Direction la France, où cette fille unique - arborant « des nattes et des socquettes » - connaît une enfance surprotégée. Adulée par son père, mort prématurément, elle connaît des rapports conflictuels avec sa mère. Anne Sinclair grandit dans un environnement particulier, puisqu'elle est la petite-fille du célèbre marchand d'art Paul Rosenberg, auquel elle a consacré un récit. Elle-même se livre sans fard dans le sien. Très lucide sur sa vie, elle nous surprend par son manque de confiance en elle ou ses doutes permanents. Seule certitude : devenir journaliste. Une passion pour l'actualité qui naît dès l'âge de 10 ans. Après des études de droit et Sciences Po, Sinclair débute sur Europe 1. Une formidable école, dans laquelle elle gravit les échelons et rencontre le père de ses enfants, Ivan Levaï. Mais il est compliqué de concilier ce métier avec sa vie privée. Pudique, Anne ne révèle que des bribes de son intimité ou sa maternité. « Ce récit est le reflet d'une époque révolue », celle où les rares médias imposaient l'audace et la liberté. Sinclair fait clairement partie des pionnières, qui ouvrent la voie aux femmes journalistes. Cette guerrière particulière s'impose avec son regard bleuté et son intelligence redoutable. Un nouveau tremplin s'offre à elle, à la télé : l'emblématique « 7 sur 7 ». Ce rendez-vous phare en fait une star. L'amie de Robert Badinter, Elie Wiesel ou Jorge Semprún y reçoit Simone Veil, Gorbatchev, le roi Hassan II, Yves Montand ou Madonna, mais elle interdit son plateau à Jean-Marie Le Pen et Saddam Hussein. Malgré sa célébrité, la journaliste est virée de TF1 en trois minutes, après dix-huit ans de bons et loyaux services. Un choc. « On attend du journaliste qu'il soit objectif. Il ne le sera jamais totalement car il est chargé d'un bagage culturel ou émotionnel. » Le sien se nourrit notamment d'amour. DSK arrive à la fin, comme pour fuir cette part de son histoire, qui a failli la détruire. Il s'agit du chapitre le plus beau, le plus fort, tant cette mise à nue dévoile une épouse sous emprise, qui croit à la dignité jusqu'au bout. En dépit de cette chute vertigineuse, elle renoue avec une destinée heureuse. « Je suis femme, mère, française, juive, de gauche, journaliste. Dans nombre de ces identités, je me trouve inaboutie et incomplète. » Ce livre délivre une partie du puzzle, mais il préserve aussi le mystère d'une femme qui est toujours restée entière.
Passé composé
Grasset
Tirage: 60 000 ex.
Prix: 22,50 € ; 384 p.
ISBN: 9782246828174