5 JANVIER - ROMAN France

Anne Wiazemsky- Photo ULF ANDERSEN/GALLIMARD

On l'avait laissée séduisant un âne, on la retrouve épousant Godard. En quelques mois, la douce ingénue Nouvelle Vague d'Au hasard Balthazar a bien grandi. Dans ce qui était peut-être jusque là son plus beau livre, Jeune fille (Gallimard, 2007), Anne Wiazemsky, l'héroïne du film de Bresson, avait raconté cet éveil à la vie (qui le fut aussi à l'art et aux choses de l'amour). Aujourd'hui, poursuivant le fil de son autobiographie rêveuse, c'est la suite de ce début dans la vie qu'elle nous propose. C'est tout à fait pareil, aussi bien, et, c'est absolument différent.

En fait, il faut croire qu'avoir 19 ans en 1966 ne ressemblait en rien à ce qu'on avait alors connu, ni à ce que l'on connaîtrait. Ode à l'amour d'un homme, Une année studieuse l'est aussi à celui d'une époque. L'homme, c'est donc Jean-Luc Godard. A peine sortie de son tournage inaugural, la jeune Anne Wiazemsky, que l'on croit timide et qui ne manque pourtant jamais de révéler dans les plus essentielles circonstances de sa jeunesse un salutaire culot, lui écrit une lettre pour lui dire combien elle aime son cinéma. Godard, aussi célèbre et consacré qu'il est seul, lui répond avec une ferveur identique et très vite il est question entre eux de choses essentielles et intimes. On suivra un an durant ce couple en devenir, les atermoiements de l'une, les exigences de l'autre, jusqu'à la présentation à l'été 1967, dans la cour d'honneur du palais des Papes, à Avignon, de leur premier "enfant", un film, La Chinoise (en passant par leur mariage, ubuesque, dans une modeste mairie suisse du canton de Vaud). Entre temps, Anne et Jean-Luc se quittent pour mieux se retrouver, comme il convient aux amants terribles, font l'amour et de la philosophie, se font des amis et du mauvais sang. On déjeune avec François Truffaut et Michel Cournot, dont la bienveillance n'est jamais prise en défaut. On devise avec Francis Jeanson, on s'inscrit à Nanterre, où un étudiant roux prénommé Dany vous drague gentiment, on roule en Alfa Romeo, on skie à Megève, on rit aux films de Louis de Funès, on descend le chien, on lit Rimbaud et Le petit livre rouge, on joue à cache-cache avec Paris Match. Tout est tragique et rien n'est grave.

On connaît la chanson de ce genre de livres : baisers volés et compagnie. Encore faut-il savoir tenir la note, et Anne Wiazemsky s'y emploie à merveille. Jamais sans doute les figures de Godard, ni même celle de François Mauriac, le grand-père, tout de bienveillance et d'ironie, n'avaient été plus tendrement décrites. Sans verser dans une nostalgie béate, c'est d'un temps qui se croyait captif et rimait avec liberté que nous entretient l'auteure. En ce sens, cette Année studieuse, bien plus profonde qu'une lecture inattentive ne le laisserait penser, voisine avec les récits générationnels de Claude Arnaud ou Mathieu Lindon. C'est moins une recherche du temps perdu qu'une tentative d'explication longtemps après que le prodige de la jeunesse s'est dissipé...

Les dernières
actualités