Prix des Romancières 2021

Andreï Makine : "Ce qui nous manque, c’est l'incarnation"

"Si on ne touche pas, on ne comprend pas" - Photo ©DR

Andreï Makine : "Ce qui nous manque, c’est l'incarnation"

Andreï Makine a été distingué le 31 mars par le Prix des romancières pour son ouvrage L'ami arménien (Grasset). Il invite à se placer à hauteur d'homme pour parvenir à rendre compte des massacres qui parcourent notre histoire. 
 

Par Pauline Gabinari
Créé le 01.04.2021 à 02h00

Vous avez déjà reçu le Goncourt, le Médicis, le Goncourt des Lycéens... pourquoi celui-là est différent ?

Ce qui me touche, c'est que ce prix ose dire son nom. Il est attribué par des romancières pour qui il importe peu que le lauréat soit un homme ou une femme. Elles choisissent un livre qui leur plaît, sans prendre en compte le sexe ou l’orientation sexuelle. Alors qu'aujourd'hui la société est à cran sur ce sujet, cette attitude rend la relation hommes-femmes plus sincère, plus ouverte. 

Votre livre paraît quelques mois après la fin du conflit au Haut Karabagh…. 

Le roman a été rattrapé par l'Histoire. Quand j'ai rendu mon manuscrit, il y a plus d'un an déjà, la guerre n'était pas encore là. Mon ami arménien vivait dans mon cœur depuis longtemps. Ce conflit est une horrible tragédie. Il y a eu 6000 morts, des jeunes garçons tués et aujourd’hui, ce sont les mères qui pleurent.

Comment mettre des mots sur ces évènements dramatiques ? 

Ce qui nous manque, c’est l'incarnation. On peut dire qu’il y a eu 25 millions de morts russes pendant la Seconde Guerre mondiale, mais on ne peut pas l’imaginer. À l’inverse, si je vous dis que cela correspond à treize fois la population de Paris là, on est saisi. Dès qu’on voit les victimes une à une, cela provoque un choc. Le roman sert à ça, il personnifie. C’est presque biblique ou évangélique. C’est Saint Thomas qui pose ses mains dans les stigmates du Christ. Il faut toucher. Si on ne touche pas, on ne comprend pas. 

Récemment, Joe Biden a laissé entendre que Vladimir Poutine était un tueur. Que pensez-vous du regain des tensions entre votre pays d’origine et le monde occidental ? 

Une méfiance s’est installée. Les Américains dépensent un argent fou pour se réarmer. C’est une folie totale, mais c’est le mécanisme capitaliste qui est à l'œuvre. Il faut fabriquer et vendre des armes. Et pour les vendre, il faut allumer des foyers de guerre. Je ne veux pas dire que les Russes sont tous blancs et innocents. Mais il existe en tout cas chez eux cette volonté de travailler ensemble. Notre planète est tellement petite... Elle est déjà surpeuplée, surpolluée. L'humanité a des défis énormes devant elle. Se déchirer, trouver des griefs à chacun, refuser l'autre dans ce qu'il représente d'humain, c'est très grave.  Au lieu de se réarmer, nous devons essayer de trouver des projets [communs]. L’Ami arménien est un appel à la raison et à l’union de tous les peuples. 

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