Avant-critique Essai

Andreas Beyer, "Le corps de l’artiste. L’empreinte oubliée de la vie dans l’art" (Actes Sud)

Portrait de Michelangelo Buonarroti attribué à Daniele da Volterra, vers 1545. - Photo © The Metropolitan Museum of Art - Trujillo

Andreas Beyer, "Le corps de l’artiste. L’empreinte oubliée de la vie dans l’art" (Actes Sud)

En s'intéressant plus particulièrement aux maîtres de la Renaissance, l'historien de l'art Andreas Beyer réhabilite la part corporelle de l'artiste dans la création.

Parution 9 octobre

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Par Sean Rose
Créé le 03.10.2024 à 09h00

La palette et la patte. L'artiste de la Renaissance se voulait avant tout un humaniste : lettré, polymathe, maniant tour à tour le pinceau et la plume, l'équerre et le ciseau... Comptant parmi les génies du Quattrocento, Michel-Ange, sculpteur, peintre, architecte, poète, illustre de manière insigne cette volonté d'imposer l'activité artistique comme œuvre de l'esprit plutôt que comme production de la main. Un artiste signe ses œuvres, un artisan pas son ouvrage, etc. Tant de préjugés contre la corporalité de l'artiste ont si longtemps prévalu que s'est forgée au fil des siècles l'idée selon laquelle un artiste est soit un simple truchement de quelque inspiration divine, soit un démiurge lui-même et un créateur habité par une force d'invention propre. Au Moyen-Âge, le peintre est l'instrument grâce auquel se réalise l'imitation de la nature créée par Dieu. À partir des Vies de Vasari (XVIe siècle), les artistes ont certes droit à une biographie mais ces récits mêlant vie et œuvre tiennent plus de la légende dorée que de l'exacte reconstitution des faits.

Professeur d'art moderne à l'université de Bâle, Andreas Beyer s'inscrit en faux avec une notion d'art désincarné, à savoir divorcé de l'expérience charnellement vécue par l'artiste. Dans Le corps et l'artiste, il entend faire réapparaître « l'empreinte oubliée de la vie dans l'art ». L'auteur rappelle qu'à l'Antiquité déjà, les peintres s'estimaient des êtres à part. Cette prise de conscience par l'artiste de son ingenium - génie créateur unique - n'a pas attendu la modernité. Selon Pline, le Grec Zeuxis paradait avec son « nom brodé en lettres d'or sur les appliques de ses manteaux ». Et quoi de plus parlant que l'autoportrait et les journaux intimes pour apprécier la vision qu'ont d'eux-mêmes les artistes ? Albrecht Dürer, dandy avant la lettre, excentrique jusque dans sa mise, avec sa barbe et ses cheveux longs, se représente moult fois et sous toutes les coutures. Son Autoportrait nu, dit de Weimar, met en exergue ses « bourses [...] accentuées par des rehauts de blancs ». On considère les testicules à l'époque comme le réservoir non seulement de la semence mais aussi, tout comme la rate, de la bile noire, dont l'excès est cause d'humeur mélancolique. La mélancolie est alors associée au génie. Celle de Dürer, « mercurienne », est plus agile et plastique que « saturnienne », c'est-à-dire pesante et débilitante, comme chez l'architecte du haut baroque romain Borromini. Ce dernier se suicide en se transperçant le flanc d'une épée.

Habit, tempérament, nourritures terrestres ou spirituelles, sexualité... cet essai réussit à « faire comprendre que la constitution physique, la santé ou la maladie ne déterminent pas moins l'œuvre que les dispositions psychiques ou l'intention créatrice, que l'œuvre peut être vue comme une part de l'entité globale que forme l'artiste, qu'il y est déposé tout entier ».

Andreas Beyer
Le corps de l’artiste. L’empreinte oubliée de la vie dans l’art
Actes Sud
Traduit de l’allemand par Jean Torrent
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 32 € ; 304 p.
ISBN: 9782330197087

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