L'histoire des pèlerins d'Emmaüs qui ne reconnaissent pas d'emblée le Messie est l'une des préférées du narrateur du dernier roman d'Alessandro Baricco, qui emprunte le nom à cet épisode des Evangiles. >Celui qui raconte à la voix détachée de qui se souvient et nous plonge pourtant dans l'éternel présent de la révélation, nous entraîne vers le moment de l'aveuglante lumière. Il avait à l'époque 17 ans, il faisait partie d'une bande de copains : Bobby, le Saint et Luca. Tous se sentaient investis d'une mission, ils savaient que la vie avait un sens, ils étaient catholiques : Jésus était leur modèle, ils pratiquaient l'amour du prochain en soignant les vieux à l'hôpital. Pour ce qui est de l'autre amour, laïc et charnel, ils avaient des copines avec qui ils fricotaient, mais cela n'allait guère très loin. Puis surgit un jour Andrea, dite Andre. Elle appartenait à un autre monde ; belle, riche, insouciante, elle évoluait avec une joie sans culpabilité. Ils lui avaient demandé de chanter dans leur groupe, elle avait refusé. Mais à son contact, il semblait qu'ils eussent obtenu autre chose. Leurs certitudes se lézardaient, cette existence normale où l'on ne questionnait pas les parents, leur vie, l'ordre des choses. Le père de Luca était déprimé mais personne n'aurait nommé sa détresse taciturne "dépression". Il était aussi parfois arrivé que les mains des prêtres vous effleurent la cuisse, mais vous receviez des mêmes mains la communion sans moufter. Avec sa beauté sans complexe, sa sensualité débridée, Andre allait leur révéler un monde à la lumière et aux ténèbres mêlées : "la vérité d'un héroïsme à laquelle nous n'avons pas pensé, l'héroïsme d'une vérité parmi d'autres". Andre, adolescente, avait tenté de se suicider.
L'auteur de Soie, dont une édition illustrée par Rébecca Dautremer vient de paraître aux éditions Tishina, signe un récit très personnel. Sans manichéisme et avec une sincérité déroutante, il livre ici un texte à la lumière tremblante, suspendue tel un questionnement à jamais renouvelé.
