« Je me suis retrouvé à la rue à l'âge de 18 ans, au terme d'une dépression provoquée par la mort prématurée de ma mère, fauchée à 36 ans par l'alcool et la drogue. » L'entrée en matière est nette. On y sent le tranchant du destin qui entaille les existences. La pauvreté est une histoire terrible. Depuis des siècles, les riches n'y comprennent rien. Quant aux pauvres, ils tentent de raconter comme ils peuvent et surtout quand on les écoute. Darren McGarvey a connu la vie difficile. Ce n'était pas la misère, mais pas très loin du moins que nécessaire pour vivre. Il a grandi à Glasgow dans le quartier de Pollock que l'on qualifie de difficile pour justifier le peu d'amélioration attendue.
Dans ces rues où l'on traîne plus qu'on y marche, on respire la violence et surtout on supporte le regard des autres. Les autres, ce ne sont pas les riches, seulement ceux qui ont des distractions, qui lisent et qui parlent autrement que par borborygmes. Darren McGarvey décrit bien ces zones dites « défavorisées » où l'on grandit asphyxié. L'optimisme n'est pas une monnaie courante pour les sans-le-sou. La pauvreté, c'est la première des prisons. Elle est suivie par l'alcool et la drogue. C'est bien ce que martèle l'auteur dans ce témoignage qui prend les contours de l'essai.
« Les types comme moi n'écrivent pas de livres. » Faux. Ils n'écrivent pas de livres comme les autres. On le voit dans sa manière de dire, ce côté cash, sans ménagement. Rappeur connu sous le nom de Loki, Darren McGarvey survole son nid de coucou avec une belle lucidité, renvoyant dos à dos la gauche qui considère la misère comme la volonté des riches et la droite comme un échec de l'individualisme. Pendant dix ans, il a lui aussi tenté d'échapper à ce monde fermé en buvant. Puis il a rencontré des femmes et des hommes qui l'ont aidé. En retour, il s'est engagé.
Henry Miller avait écrit à Joseph Delteil, avec sa verdeur coutumière, que « si un jour la merde prend de la valeur, les pauvres viendront au monde sans cul ». Une façon de considérer que la fatalité aurait sa part dans cette injustice. Darren McGarvey nous dit le contraire. « Le problème de la pauvreté est souvent étudié comme s'il s'agissait d'un phénomène palpable, d'une entité qui s'abat sur les gens au hasard, sans crier gare. » Il y voit plutôt une sorte de sable mouvant, et si quelqu'un tend une perche le moyen de s'en sortir.
Fauchés : vivre et mourir pauvre - Traduit de l’anglais par Madeleine Nasalik
Autrement
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 19,90 euros ; 336 p.
ISBN: 9782746752559