20 mars > nouvelles France

Il y a deux ans, les discrètes et pertinentes éditions Delphine Montalant - où Jean-Philippe Blondel et Karine Fougeray ont notamment fait leurs débuts - permettaient de découvrir l’univers de Manon Moreau. Après un premier roman choral, Le vestibule des causes perdues, dont les protagonistes cheminaient vers Saint-Jacques-de-Compostelle, celle-ci confirme tout le bien que l’on pouvait penser d’elle avec un recueil de nouvelles, Suzanne aux yeux noirs.

Voici d’abord qu’entre en scène Elisabeth, toujours amoureuse de Jacques après trente ans d’union. Jadis, alors qu’elle en avait l’envie, lui n’a jamais voulu d’un deuxième enfant, tranchant l’affaire d’un « pas question d’en parler ». Cette fois, quand Elisabeth a le désir de garder le petit chat que leur propose Johanna la voisine, pas question de ne pas en parler, de se laisser faire.

Plus loin, deux jeunes amoureux surgissent un matin dans un café. Ils ont une vingtaine d’années, des joues rouges, un bonnet de laine qu’ils s’échangent. Le serveur, ils ne le voient pas. Pourtant, lui aussi a été amoureux, a été aimé… Ne pas rater le fils d’ouvriers italiens venus des Pouilles. A 12 ans, il est devenu de droite, « la droite de ceux qui ont retroussé leurs manches pour s’éloigner des usines de leurs pères », et n’a jamais réussi à se sentir concerné par la mort de Jaurès.

Ici, on croisera aussi celle qui, depuis vingt-trois ans, a chaque fois la même surprise le jour de son anniversaire. Des fleurs venues de Montrouge. Surnommée « la femme aux freesias et aux renoncules », l’expéditrice est la mère d’un ancien soupirant…

Aussi douée pour le roman que pour la nouvelle, Manon Moreau a l’art de faire entendre des voix, de donner chair à des êtres bousculés par la vie. Avec autant de finesse que de simplicité, l’écrivaine met en scène des héros de tous les jours dont elle saisit les tourments et les émotions qui souvent vous mettent la larme à l’œil et vous serrent la gorge.
Alexandre Fillon

 

 

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