13 SEPTEMBRE - DOCUMENT Grande-Bretagne

Orlando Figes

Lev Michtchenko rencontre Svetlana Ivanov à la faculté de physique de Moscou en 1935. Elle est sémillante et ne manque pas d'admirateurs ; lui, ni grand ni costaud, était plus effacé : "avec des yeux bleu tendre et une bouche charnue", il avait gardé dans ses traits la candeur de l'enfance. "Sveta" lui trouvait certainement quelque chose de singulier. Lev, de son côté, l'avait remarquée et s'en était aussitôt épris. Ils commencent à flirter très chastement - échangeant douces paroles, poésies, à peine un baiser (la Révolution n'est pas pour les joies du sexe). Les deux jeunes gens sont typiques de cette élite destinée à bâtir les fondements de la nouvelle société. Peu importe que les parents de Lev, assimilés à des Russes blancs, fussent tués pendant la guerre civile qui déchirait le pays après la révolution d'Octobre, le jeune physicien croit fermement à l'utopie égalitaire. En ce début de règne stalinien, Lev et Sveta formaient un couple idéal de protagonistes du progrès. Mais le pacte germano-soviétique vole en éclats, et la Grande Guerre patriotique est déclarée. Fini le conte de fées soviétique : les amants sont séparés. Lev est mobilisé et très vite capturé par l'armée allemande. Dans le stalag ("camp de prisonniers pour officiers"), Lev compte parmi ces captifs cultivés qui pourraient servir d'espions, mais il refuse l'offre des Allemands. La vengeance est rude, on l'envoie à Buchenwald dont il réussit à s'évader... Quand les Américains le trouvent, il les supplie de le renvoyer parmi les siens, et ce malgré leur offre de travailler en Amérique. Dans la fin est le commencement, et ici c'est le début du calvaire de Sveta et Lev. Ce dernier, soupçonné par les hommes du régime de Staline d'avoir collaboré avec l'ennemi, sera envoyé dans un goulag près de l'Arctique où les températures chutent jusqu'à - 50 °C !

Quatorze années vont séparer les deux anciens étudiants de physique qui s'étaient rencontrés à la faculté à Moscou, jours amers où leur amour brûlera de manière aussi vive que douloureuse et dont témoignent des milliers de lettres qui échappèrent à la censure.

En 2007, l'historien britannique spécialiste de la Russie Orlando Figes découvre dans des archives à Moscou ces trois malles de correspondance. Et c'est avec un souffle quasi romanesque que l'auteur, notamment des Chuchoteurs (Denoël, 2009), restitue cette sublime foi dans un lien plus solide encore que les barbelés des camps.

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