Paul, le narrateur, un romancier belge de 56 ans ,vient de perdre sa mère, Mady. A l’enterrement, il fait la connaissance d’Alice, 73 ans, sa tante mystère : après la mort de ses parents, elle a quitté la France, passant toute sa vie à l’étranger. Une étrange complicité naît entre eux, qui invite à la confidence. Alice va se mettre à raconter à son neveu, en toute simplicité et avec émotion, son existence rocambolesque, riche en surprises, et même en révélations.
Revenant au titre long et à la forme courte, et à ce récit très dialogué qu’il maîtrise si bien - ainsi qu’on l’a vu dans Du train où vont les choses à la fin d’un long hiver, l’un de ses plus beaux romans -, Francis Dannemark s’en est donné à cœur joie, laissant libre cours à son imagination fertile, à sa tendresse naturelle pour ses personnages. Cet homme a l’art d’inventer des héros inoubliables, comme Alice.
Toute jeune fille, durant la guerre, elle tombe amoureuse de Pierre, instituteur résistant qui périra, en 1944, ainsi que ses parents à elle, dans des circonstances dramatiques. Premier amour, premier grand chagrin, dont elle ne se remettra jamais vraiment. Elle part loin, au Canada, décision fondatrice. A partir de là, elle va enchaîner, un peu partout sur la planète - Canada, Grande-Bretagne, Etats-Unis, Italie, et même en Inde - des rencontres avec des hommes, onze en tout dont neuf avec qui elle se mariera, aussi divers qu’attachants, mais qu’elle enterrera tous. Sauf un, Ethan Sterling, l’antiquaire juif new-yorkais qu’elle finira par retrouver, grâce aux recherches menées par Paul, une fois qu’il sera devenu libre de l’épouser.
Mais il y a aussi Henri, Sydney, l’éditeur anglais qui lui présentera Maggie, sa mère, laquelle deviendra pour Alice l’amie la plus fidèle, son mentor pour la vie, Wilbur, le pharmacien-danseur qui lui offre un tour de Méditerranée en bateau, Ronald, le dessinateur-architecte homo de Sydney, Pietro, le confiseur-chanteur romain, Nick, le jazzman que la drogue conduira au suicide, Bill, le journaliste qui l’emmène en Inde, dans le très pauvre Bihar, où elle découvre tout un univers, au son d’All Things Must Pass de George Harrison, et où elle est séduite par Swami, un médecin qui la ramène en Angleterre. Il y est mort il y a quelques années…
Autant d’histoires d’amour et de sentiments, belles et tristes, mais racontées par Alice avec tant de sincérité qu’on en sourit, comme elle à travers ses larmes. Au fil des jours, de son récit et de tous ses hommes, elle va conduire habilement Paul là où elle le souhaitait, jusqu’à une ultime surprise qu’on se gardera bien de dévoiler ici. Encore une fois, Dannemark l’enchanteur surprend son lecteur, le tient en haleine, sous son charme.
Jean-Claude Perrier