Enfants sauvages. « Cette vieille chanson qui brûle », c'est celle de l'enfance perdue et des souvenirs qui persistent. Quand il était petit, le narrateur et son frère jumeau, Jérémie, vivaient de façon anticonformiste avec leur père, isolés dans la forêt. L'éducation de l'homme est dure et la mère est absente, partie depuis bien longtemps. Mais cette marginalité est bientôt rompue par la découverte de ces « deux enfants sauvages ». Les services sociaux obligent le père à scolariser les deux garçons. « Il fut rappelé que la loi du pays place l'intérêt de l'enfant au-dessus des lubies politiques ou des tentations radicales de ses parents. »
Des années après être parti de chez lui, le narrateur s'adresse dans ce texte à son « vieux Père ». Aujourd'hui adulte, il se souvient de cette « Demeure » qui fut la leur jadis et de son enfance avec son frère aujourd'hui disparu. « Nous avons un repère immuable, celui de la rivière et du petit bout de berge où, à ce qu'il nous semble, nous avons passé toute une enfance à jouer et à te fuir ». Selon leur père, leur mère les aurait amenés ici tous les deux quelques heures après les avoir mis au monde. Pour échapper à la violence du père, les enfants se sont construit une cabane dans la forêt.
« Bien avant de devenir l'antre d'un écoterroriste dangereux, bien avant de devenir un théâtre d'opérations du maintien de l'ordre, bien avant même d'abriter nos nuits, la cabane n'a d'abord été qu'un terrain de jeux, la version miteuse de ce qu'ils appelleraient un jardin d'enfants. » De page en page, on comprend que le frère disparu est mort d'une grenade policière qui a explosé sur sa colonne vertébrale. On comprend que l'affaire, passée en justice, a fini sur un non-lieu. « Il n'y aura pas de procès, pas de confrontation, pas de coupable, et depuis je suffoque. [...] je ne sais plus qui de l'assassin lanceur de grenades, de ses maîtres, de toi et de moi lui a fait le plus de tort. »
Alexandre Lenot livre ici un texte sublime, qui entremêle récits personnel et politique. À travers le parcours du narrateur qui revient dans la maison de son enfance se confronter au père après la mort de son frère, l'écrivain aborde les questions des territoires, de la lutte écologiste, de l'éducation, mais aussi de l'autoritarisme et de la violence des figures du pouvoir. D'abord le père, puis l'école, et enfin la police et la justice... Tous, à leur échelle, abandonnent les enfants, qu'ils ont pourtant voulu élever dans le respect de leur environnement. À l'heure où une partie de la jeunesse lutte pour préserver les forêts, les terres, les rivières et les fleuves, Cette vieille chanson qui brûle rappelle avec une singulière poésie combien l'hypocrisie, la violence et l'incohérence des grands projets industriels et politiques contemporains − et de leurs acteurs −, condamnent toute une population à observer et à subir sa propre fin.
Cette vieille chanson qui brûle
Denoël
Tirage: 7 000 ex.
Prix: 20 € ; 240 p.
ISBN: 9782207182222