Sondage Ipsos/Livres Hebdo

Alerte sur la lecture

Dessins de Boll

Alerte sur la lecture

Notre enquête exclusive Ipsos/Livres Hebdo sur les pratiques de lecture reflète une nouvelle contraction du lectorat entre 2011 et 2014. Toujours attaché au livre mais aussi plus occupé, il est plus féminin, moins parisien, plus diversifié tout en restant très CSP+. Le livre numérique profite de l’essor de la tablette et des smartphones, mais sans parvenir à se construire son public propre.

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Par François Oulac
Créé le 13.03.2014 à 20h05 ,
Mis à jour le 03.04.2014 à 17h10

Trois ans après le dernier diagnostic, c’est forcément avec un peu de fébrilité qu’on reprend la température de la lecture en France. Et très vite, le chiffre tombe comme un couperet. Le nombre de lecteurs de livres a chuté de 5 points, passant de 74 % en 2011 à 69 % aujourd’hui selon l’étude Les nouveaux lecteurs réalisée par Ipsos pour Livres Hebdo, avec le soutien du Cercle de la librairie. Et quatre sondés sur dix avouent lire moins de livres qu’avant. Plus occupés, les Français leur accordent moins de temps et confirment la grande tendance au désengagement, constante depuis des décennies et déjà soulignée par les enquêtes sur les pratiques culturelles des Français menées par le ministère de la Culture depuis les années 70.

Le numérique, dont l’offre était encore balbutiante en 2011, s’est affirmé mais ne parvient pas à séduire les néophytes. Cantonné pour l’instant à la minorité des grands lecteurs et à quelques technophiles, l’ebook prêche des convertis. L’âge moyen des lecteurs augmente, tant pour le papier que pour le numérique, et si son profil tend à se diversifier (plus féminin, moins parisien), la lecture peine à se démocratiser au-delà des classes socioprofessionnelles supérieures.

 

Loisir et source de lien social

Un lectorat vieillissant et déclinant, un format numérique qui ne suscite pas beaucoup d’intérêt… Le livre subirait-il un coup de mou ? Sans doute, mais pas totalement. Car cette nouvelle étude Ipsos/Livres Hebdo est aussi l’occasion de le rappeler : les Français demeurent profondément attachés à la lecture. Près de la moitié des lecteurs disent bouquiner tous les jours. A la fois loisir et source de lien social, la lecture est le deuxième passe-temps préféré des Français, après les sorties entre amis. Ce hobby est plébiscité par 85 % de ses pratiquants comme un moyen d’évasion et par 70 % comme un sujet privilégié de discussion. Corollaire : cette année encore, les romans policiers tiennent le haut du pavé dans les ventes papier, alors que les classiques, libres de droits, règnent sur le numérique.

 

L’avènement de la tablette tactile et du smartphone comme supports numériques, encore marginaux il y a trois ans, envoie des signaux rassurants. Mobile, changeante, divertissante, la lecture a su négocier le virage des nouvelles technologies et reste profondément ancrée dans le quotidien des Français. Intemporelle et toujours moderne, comme un ebook de Rousseau qu’on parcourt dans le métro. <

1. Les lecteurs n’ont plus le temps de lire

Roulements de tambours, grincements de dents : le taux de lecture de livres papier en France a nettement baissé entre 2011 et 2014, avec une chute de cinq points en trois ans, de 74 % à 69 %. Quatre sondés sur 10 affirment lire moins. D’abord parce qu’ils manquent de temps libre (63 %) ou parce qu’ils préfèrent se consacrer à d’autres loisirs (45 %). Parmi ces lecteurs qui décrochent un peu, il y a une majorité écrasante de CSP+ avec des enfants de moins de 15 ans (81 %). Verdict : ceux qui lisent moins sont accaparés par leur activité professionnelle et leur vie de famille. Les sorties entre amis restent le loisir préféré des Français (31 %). Mais la lecture arrive juste derrière (15 %) dans ce classement. La chute du nombre de lecteurs n’est donc pas due à un désintérêt, et seuls 9 % des sondés affirment spontanément trouver les livres trop chers. La lecture n’a pas perdu son attrait. La preuve, ceux qui trouvent encore le temps de bouquiner le font souvent et avec plaisir : presque un lecteur sur deux (45 %) affirme lire tous les jours. Les grands lecteurs sont en majorité des femmes (61 %), âgées de 50 ans en moyenne et sans enfants de moins de 15 ans (74 %). Un profil qui confirme une double tendance : le lectorat se féminise, et on peut enfin respirer (lire) lorsque les enfants sont autonomes.

 

Les policiers en hausse de 5 %.

Les genres privilégiés n’ont pas vraiment bougé. Côté papier, les polars et les romans d’espionnage trônent à la première place, en hausse de 5 %, devant les livres pratiques, touchés par une forte baisse, sûrement due à la concurrence d’Internet. Mine de contenus journalistiques et encyclopédiques, le Web ronge la part de marché des ouvrages informatifs. Ainsi les dictionnaires plongent à la 10e place.

 

Côté numérique, la hiérarchie est la même, seulement perturbée par une percée de la littérature classique, première du classement, séduisante car libre de droits et donc gratuite. La science-fiction est deuxième devant les polars. Différence notable avec leurs homologues papier, les livres pratiques ne sont que sixièmes. La lecture numérique reste donc avant tout divertissante. <

2. Le livre numérique en hausse, mais pas tant que ça

Les chiffres sont formels : la guerre du numérique n’a pas eu lieu. Considéré par certains comme le remplaçant potentiel du livre imprimé, l’ebook n’affiche pas une grande attractivité. Sur les 69 % de Français qui s’affirment lecteurs, 11 % disent utiliser le support numérique, soit 3 % de plus qu’en 2011. Une progression dans un mouchoir de poche. 86 % affirment que "le papier sera toujours le principal support" de la lecture. La proportion de lecteurs exclusifs du numérique, quant à elle, est infime (1 %). Pourtant, le catalogue numérique, considéré comme trop restreint en 2011, s’est considérablement étendu en quelques années, au point de devenir la deuxième cause de satisfaction des utilisateurs avec la capacité de stockage et après le transport. Mais il ne fait pas oublier l’absence de contact avec le papier, regretté par 59 % des lecteurs, et la fatigue provoquée par la lecture sur écran (51 %). Ces deux facteurs sont révélateurs du rapport des Français au livre. Près d’un lecteur sur deux affirme n’avoir pas adopté l’ebook après essai. Le business model d’un marché du numérique indépendant reste donc encore à trouver. Et pour l’instant, l’ebook peine à attirer de nouveaux lecteurs : 5 % seulement des personnes interrogées sont "tout à fait d’accord" pour dire que "les gens vont lire encore plus" grâce au numérique.

Le numérique se heurte donc à un certain conservatisme des lecteurs. La mutation intéressante se trouve plutôt du côté de l’évolution des usages. Peu répandus en 2011, les tablettes et les smartphones ont depuis colonisé les sacs des Français. La lecture sur tablette a plus que doublé en quatre ans, passant de 14 % à 37 %, loin devant la liseuse (23 % contre 8 %). Les transports en commun étant le deuxième lieu le plus courant (après le domicile) pour s’adonner à la lecture, l’ebook a su tirer avantage de sa nature nomade. Et de la gratuité d’une partie de son catalogue. <

 

3. Le lecteur de livres papier est une femme de 46 ans, plutôt parisienne et diplômée

Qui sont les lecteurs de livres ? Le lecteur du format papier est plutôt une lectrice (57 % de femmes), âgée en moyenne de 46 ans, sans enfants de moins de 15 ans et résidant à Paris ou dans sa région. Issue de la classe moyenne ou aisée, elle a un diplôme universitaire et son revenu est supérieur à 2 300 euros. Elle lit un peu moins qu’avant : en moyenne, 15 livres en un an (16 en 2011), dont 6 au format poche. Légèreté, mobilité, transports en commun. Toutefois, la lectrice lit de préférence chez elle (91 %).

Le lecteur de livres numériques est, lui, généralement un homme, mais les femmes gagnent du terrain (55 % d’hommes en 2014 contre 63 % en 2011). Agé de 40 ans en moyenne (contre 32 en 2011), il est parisien mais moins qu’avant (29 % aujourd’hui contre 39 % en 2011). Il lit toujours autant en 2014 qu’il y a trois ans : 10 livres par an, dont 14 % en entier (2 points de plus qu’en 2011). Il est de plus en plus aisé : 45 % de CSP+ contre 36 %. Plus féminin, plus âgé, moins parisien : le profil du lecteur d’ebooks s’est diversifié. C’est une forme de victoire pour le livre numérique, qui n’est plus un phénomène d’avant-garde. Un point positif, avec une limite toutefois, puisque cet essor ne s’observe que chez les classes les plus aisées. Rapport au prix des équipements ? <

4. Près de la moitié des livres lus sont achetés neufs

La grande majorité des Français achète ses livres neufs. Ils privilégient les grandes surfaces culturelles, les hypermarchés et les librairies. La vente en ligne, si elle fait beaucoup parler d’elle, n’est que la quatrième option : elle représente 16 % des achats de livres neufs. La vente d’occasion, minoritaire, reste l’apanage des bouquinistes et des brocanteurs. Sans surprise, on se procure le livre numérique presque exclusivement en ligne, via les sites Internet de librairie et le plus souvent gratuitement : les classiques libres de droits restent les ouvrages les plus recherchés sur support numérique. Les sites de partage de fichiers type Torrent, deuxième source de livres gratuits, prêtent à controverse. Difficile de distinguer le partage de textes libres du piratage de textes protégés. Néanmoins, la tendance est de plus en plus à l’acte d’achat : ils ont progressé de 5 % depuis 2011, tandis que le téléchargement gratuit recule de 8 %.

En dehors du sujet du livre, premier motif d’achat pour les lecteurs (54 %), les conseils de l’entourage restent la plus importante motivation (43 %) pour choisir un titre, loin devant les réseaux sociaux (9 %) ou les prix littéraires (2 %). Ce qui confirme la fonction sociale de la lecture. <

 


13.03 2014

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