Double hommage à l’univers de Jean-Claude Forest (Barbarella) et à l’emblématique collection des « Histoires fantastiques », qui a marqué chez Dargaud les années 1970, et dont il s’inspire pour la maquette de couverture, Lune l’envers signe le retour de Blutch à la fiction pure. Douze ans après Vitesse moderne (Dupuis, « Aire libre », 2002), le grand prix de la Ville d’Angoulême 2009 compresse l’espace et le temps pour emmêler les destins d’un dessinateur de BD d’âge mur, aigri, épuisé et desséché, Lantz, dont les traits rappellent les siens propres, et d’un junior-éditeur chevelu et passablement excité baptisé… Blütch. Deux doubles en somme.
Lantz est viré de sa série, le « Nouveau Nouveau Testament », pour laquelle il ne trouve plus d’inspiration, par son éditeur converti aux exigences de la culture industrialisée. Il alterne colères et déprimes, tentant de retrouver auprès d’anciennes maîtresses et au tréfonds de sa mémoire la sève copulatoire et créatrice de ses 20 ans. De son côté, pour relancer le « Nouveau Nouveau Testament », Blütch doit retrouver dans un studio futuriste, où la création est ramenée à une activité masturbatoire opaque, une auteure anonyme qui se trouve être Liebling, la petite amie de Lantz jeune et qui, elle, l’est encore. Passé et présent se croisent et se confondent : normal. Chez Blutch, SF signifie science fantasmatique. Une science qui lui permet de proposer une formidable parabole sur la création, l’amour et le temps qui passe, broyés par l’industrialisation et le rendement.
Fabrice Piault